Vous trouverez ici la brochure Poursuivre les chantiers, imprimé en mars 2024. Ici il s’agit d’une première version, elle raconte comment organiser un chantier en s’appuyant sur le diverses tentatives de la cinquantaine de chantiers qui ont déjà eu lieu.
La brochure en texte ici
Reprises de Savoirs
Poursuivre les chantiers (V0) / Brochure format web
Avant-propos
Au moment où parait cette brochure, plus de 45 chantiers de la dynamique des Reprises de Savoirs ont eu lieu. Des chantiers aussi différents que de marcher à plusieurs pour comprendre les centrales énergétiques, enquêter sur le foncier en Île-de-France, creuser des mares pour défendre une friche urbaine menacée d’artificialisation, créer un réseau d’entraide pour la désertion collective, réhabiliter un moulin et s’interroger sur les milieux énergétiques… Un chantier Reprises de Savoirs c’est finalement autant de choses que l’on veut si tant est qu’il réponde à un désir de construire du commun, de se saisir ensemble de savoirs parfois socialement dévalorisés, parfois réinventés, pour répondre aux urgences de notre époque.
Après deux ans de chantiers et un tel foisonnement de thématiques, de pratiques, de contextes et de modes d’organisation, nous avons voulu fabriquer ce cahier. Dans ce livret, on retrace ces chantiers pour en tirer des apprentissages, des questionnements et des perspectives, et continuer ainsi à faire vivre Reprises de Savoirs.
Riches de nos succès comme de nos échecs, nous essayons de nourrir une réflexion sur ces curieux objets que sont les chantiers Reprises de Savoirs, et de donner des pistes à celles et ceux qui voudront rejoindre cette expérience. Nous n’avons pas voulu donner des conseils précis ou proposer un ensemble d’outils, mais partir des diverses expériences pour permettre aux organisateurices de chantiers de se mettre en mouvement. Pour imaginer comment accueillir des personnes, prendre soin d’un lieu, s’organiser à plusieurs dizaines, faire à manger pour autant, apprendre différemment, nous ne partons pas de rien, nous héritons de multiples expériences qui foisonnent un peu partout et nous avons fait école ensemble à plusieurs reprises, en tentant au passage de réinventer ce qu’un chantier-école peut bien vouloir dire.
Nous n’avons pas l’intention que cette brochure réponde à l’ensemble des questions d’organisation de chantier. Il existe bien des ressources. Par exemple, Pierre par pierre – mur par mur, quelques pistes pour organiser des chantiers à plusieurs quand on n’aime pas les chef·fe·s (https://link.infini.fr/infokioskes-pierre-par-pierre). Notre intention est de faire sentir ce qu’il y a de spécifique dans notre dynamique de chantiers et d’en donner un ensemble d’éléments qui nous motive.
Avant le chantier
1.1 Formuler les intentions du chantier
Souvent, les propositions de chantiers Reprises de Savoirs partent d’une problématique ou d’une situation particulière du lieu qui accueille le chantier. La façon de formuler la proposition se fait donc depuis cette problématique spécifique : par exemple, le chantier Habiter des milieux énergétiques dans un moulin près de Nantes impliquait de reconstruire l’enduit d’un canal de décharge, de faire la maintenance d’une turbine, mais aussi des relevés naturalistes pour mieux comprendre le milieu ; De l’héritage colonial à l’habiter en commun était un chantier qui, à l’occasion du réaménagement d’une serre industrielle, s’interrogeait sur la réappropriation d’une infrastructure conçue pour optimiser l’agriculture. Comment transformer un lieu de culture hors-sol, dans une agro-industrie qui profite de la vulnérabilité des personnes sans papiers pour un travail harassant, en lieu d’accueil ? Un chantier, c’est donc souvent un fil thématique qui permet de guider et d’orienter un ensemble de moments : des ateliers pratiques, des discussions, des rencontres, des soirées qui se répondent.
D’autres chantiers n’étaient pas dotés de « fil rouge » parce que ça ne leur paraissait pas pertinent depuis leur contexte ou leur situation, comme ce fut le cas pendant les chantiers du Tarn en juillet 2022, qui mélangeaient sans difficulté des travaux dans une ancienne usine Lafarge devenue ressourcerie et des présentations ou discussions sur l’histoire de l’écologie politique.
La durée d’un chantier est très variable ; certains se sont déroulés sur 4 jours tandis que d’autres ont pu s’étaler sur 3 semaines. Ces temporalités ne permettent pas les mêmes choses et dépendent aussi des disponibilités et contraintes du lieu, des organisateurices, de leurs objectifs, de leurs envies.
Pour formuler l’idée de départ, nous suggérons d’écrire un petit descriptif. C’est le genre de petit texte qui peut apparaître ensuite sur le site internet du réseau (https://www.reprisesdesavoirs.org). Par exemple : « Associé à la création d’un café associatif et à la mise en place d’une cantine solidaire pour un territoire rural, le groupe informel écoféministe Minervois propose un chantier pluri-diversité de savoirs et pratiques, autour de la subsistance et des maisonnées. »
Parfois, au départ du chantier, il est utile de se formuler un objectif clair, en interne ou de façon explicite. Par exemple, pour le chantier Activer des savoirs naturalistes au service des luttes à Notre-Dame-des-Landes, les organisateurices avaient pour intention de rencontrer un collectif d’habitant·es mobilisé·es contre l’implantation d’une station essence Total et de permettre la mobilisation des savoirs naturalistes dans le cadre de leur lutte. Dès lors, beaucoup du travail effectué pendant les quelques jours de chantier avait comme horizon la rencontre avec le collectif voisin.
On peut imaginer l’envie de faire un chantier Reprises de Savoirs comme un pari, une tentative de faire se frotter deux mondes (ou plus). Exemples non exhaustifs : faire enquête sur la filière industrielle du maïs tout en montant une micro-usine de popcorn artisanale pour un évènement militant ; organiser une course de canoé pour parler des bassins versants en amont d’une mobilisation internationale sur l’eau, etc.
1.2 Réfléchir aux personnes que l’on souhaite accueillir
Selon le chantier que l’on organise et les objectifs que l’on se donne, il peut être important de se demander « avec qui » on a envie de le réaliser et « pour qui » il est mis en place. Ces moments de vie et d’organisation commune permettent en effet de tisser des liens assez forts qui donnent souvent envie d’être approfondis. Dit autrement, on peut se demander quand on construit un chantier : quelle communauté on souhaite activer et renforcer à travers lui ?
Des chantiers peuvent décider de n’accueillir qu’un certain type de public. Par exemple, le chantier Savoir/Faire avec la nature, explorations écoféministes en Haute-Loire en juillet 2022 était en mixité choisie sans homme cisgenre (« cis », c’est-à-dire une personne qui se reconnaît dans le genre attribué à la naissance). Au chantier sur l’Autonomie Alimentaire à Tarnac en 2023, il était demandé explicitement aux personnes qui s’inscrivaient de « se situer dans une démarche paysanne agroécologique basée sur une pratique et une recherche personnelle ».
D’autres conditions peuvent être une proximité géographique parce que l’enjeu du chantier est de construire un réseau local. Au chantier Jardins Aériens à Montreuil, les participant·es étaient pour beaucoup des habitant.es de la ville, voire des voisin·es qui ont découvert le lieu à cette occasion, et certain·es s’y sont investi·es après la fin du chantier.
Le site Reprises de Savoirs ne peut que partiellement permettre de faire venir les personnes souhaitées : il aura tendance, par exemple, à faire venir des personnes souvent extérieures au territoire sur lequel vous vous situez. Notre communication est pour le moment (en 2023) passée principalement par des médias et des sites nationaux qui s’adressent déjà à une certaine sociologie de lecteurices : Reporterre, Terrestres, Mediapart, LundiMatin. Si votre objectif est plutôt de vous adresser à un public proche de votre territoire, la communication de votre chantier se réfléchit en fonction, par exemple en allant prévenir vos voisins, en diffusant l’information localement, en prenant contact avec des collectifs ou des associations en lien avec vos enjeux, en demandant que le descriptif de votre chantier soit diffusé sur telle ou telle liste, site, ou réseau social, ou tout simplement en les contactant directement !
1.3. Penser les liens avec le territoire
L’un des enjeux des chantiers Reprises de Savoirs peut être d’approfondir et de nourrir les liens au sein du territoire où se situe le chantier. Il y a un enjeu pour les personnes qui organisent de penser par avance les en-dehors et les en-dedans : les sorties, les rencontres avec les personnes autour… Parfois, l’arrivée massive de personnes venues d’ailleurs avec un langage ou une posture particulière dans un environnement local peut s’avérer assez envahissante, et même contre-productive pour un ancrage local. Inversement, la rencontre entre des locaux et des personnes qui viennent installer ou soutenir une dynamique sur un lieu peut transformer le rapport que ses habitant·es entretiennent avec leur propre territoire, et vice-versa ! D’une certaine façon, les chantiers servent aussi de moment d’ouverture et d’accueil sur un lieu pour le voisinage, les proches, les personnes que l’on a du mal à approcher et à qui on propose de venir à l’occasion du chantier. C’est d’ailleurs le cas presque partout : le chantier vit du tissu local.
À Rennes au chantier Graines de Luttes, les organisateurices retiennent qu’iels ont construit de nouveaux liens avec leurs voisin·es. Pendant le chantier Démétropolisation par le bas à Aubervilliers, la dynamique d’enquête sur le foncier agricole en ville a été l’occasion pour que de nouveaux bénévoles s’engagent auprès de l’association porteuse du chantier. La démarche des Reprises de Savoirs peut aussi avoir vocation à réveiller les mémoires. Au chantier pour L’autonomie sur le plateau de Saclay, face aux aménageurs, l’une des questions cruciales avait été la suivante : restituer la mémoire de luttes sociales passées, de l’histoire populaire d’un territoire. Les chantiers peuvent être pensés comme des perspectives de long terme par leur récurrence dans certains endroits. Organiser un chantier, c’est aussi une façon de s’ancrer davantage – pour peu que cela soit l’un des objectifs et que l’on s’en donne les moyens.
1.4 Solliciter des personnes ressources
Un chantier Reprises de Savoirs est une occasion de construire collectivement avec les usagèr·es des lieux tout en étant soutenu par des personnes qui s’y fédèrent temporairement. Vous pouvez contacter des personnes ressources sur telle ou telle thématique soulevée, tel ou tel savoir-faire. Solliciter des personnes participe à créer une communauté autour d’un sujet, d’un lieu, d’une pratique. Au chantier Autonomie alimentaire sur le Plateau de Millevaches en avril 2023, un agronome spécialisé sur les techniques de maraîchage sol vivant a été sollicité et a participé bénévolement au chantier. Au chantier Creuser des mares et tisser des alliances interespèces, une anthropologue étudiant les pratiques naturalistes amatrices a participé au chantier et a présenté son travail de recherche pendant une après-midi.
Toutefois, l’une des volontés de Reprises de Savoirs est de détricoter les postures d’expertises, les hiérarchies entre les savoir-penser et les savoir-faire, et leurs influences sur les façons de faire collectif. Apprenons à mettre la question sur la table et en discuter, invitons les personnes expérimentées à être des participantes comme les autres, en leur proposant par exemple de rester tout le long du chantier plutôt que simplement le temps d’une intervention, de participer à la logistique de la semaine, et s’immerger dans l’esprit du chantier.
Enfin, il est possible de solliciter des personnes et des ressources en amont du chantier. Dans le Minervois, les organisatrices ont fait deux jours de formation avec une fabriquante de laine pour pouvoir préparer leur atelier. Au chantier De l’héritage colonial à l’habiter en commun, les organisateurices avaient préparé un entretien avec un sociologue qui a été diffusé pendant le chantier.
1.5 Anticiper les coûts, faire un budget, pratique du prix libre
Au sein des chantiers de Reprises de Savoirs, nous favorisons un accès gratuit au lieu, et une contribution à prix libre aux frais du chantier. Pour chaque chantier, cela implique de réfléchir de façon spécifique à son budget.
Jusqu’à présent, nous étions réticent·es à la sollicitation d’intervenant·es ou formateurices rémunéré·es sur les chantiers. En effet, nous pensions que la reconnaissance du travail de transmission de certaines personnes sous forme monétaire pourrait nuire à la création d’une multiplicité d’échanges et de circulation des savoir-faire entre l’ensemble des personnes en présence. Mais nous ne sommes pas là pour dicter des règles ou donner des solutions, et selon chaque situation, nous pouvons nous poser la question sincèrement : de quelles compétences ne pouvons-nous pas nous passer ? Ces pratiques sont-elles difficilement reconnues et valorisées ? Quelle est la situation des personnes en demande de rémunération pour ces pratiques ? Cela risque-t-il de changer la dynamique collective ? Ce sont des questions ouvertes.
La coordination des Reprises de Savoirs a jusqu’à présent proposé une contribution de 300 euros la première année et 400 euros la seconde pour faciliter l’accessibilité des chantiers. Dans certaines situations, nous avons aussi soutenu des levées de fonds que nous avons fait circuler et nous avons parfois pu solliciter des financements spécifiques. Il ne faut donc pas hésiter à discuter argent avec nous, pour que les chantiers se passent dans les meilleures conditions financières !
Pendant les chantiers, il y a souvent une boîte prix libre et une ou deux personnes responsables de récupérer l’argent et de faire les comptes. Certains organisateurices de chantiers attaché·es à la transparence quant à la question de l’argent ont proposé des représentations graphiques explicitant les dépenses, ou bien un baromètre visuel indiquant progressivement où en est la caisse prix libre sur le remboursement des courses alimentaires avec le total à atteindre.
1.6 Organiser la logistique de l’évènement
La logistique recouvre toutes les questions pratiques de l’organisation du chantier et elle est souvent prise en charge par les personnes qui connaissent le réseau local. Une façon de ne pas se surcharger peut être de séparer ce qui relève de l’accueil sur le lieu, et ce qui relève des travaux du chantier.
Pendant un chantier, les lieux se modifient et ses usages se tournent vers l’accueil d’un groupe plus ou moins large. Certains lieux sont habitués à recevoir du monde, d’autres doivent tout inventer de A à Z et monter un camp. Pendant le chantier De l’héritage colonial à l’habiter en commun, nous avons construit les toilettes sèches, les douches, l’affichage pour le parking, les bacs à compost, la cuisine. Dans ce cas, l’installation du chantier est un chantier en lui-même.
Ça vaut le coup donc de spécifier en amont et pendant la rencontre les besoins en coup de mains pour le montage/démontage.
Parmi les points logistiques d’accueil de groupe, on peut aussi lister :
- L’accès au lieu : comment venir et partir ? Faut-il organiser des covoiturages ? Certains chantiers utilisent des tableurs participatifs, d’autres des groupes whatsapp, signal, telegram qui posent la question de l’accès au numérique pour toustes ;
- L’accès à l’eau ;
- Les toilettes ;
- La nourriture (voir la rubrique 2.7- Faire à manger) ;
- Dormir : comment organiser les couchages ? Y a-t-il des places disponibles en dur, sur des matelas ? En dortoir ou en chambre collective ? En tente ? Est-il possible de prendre en compte des besoins spécifiques ?
- L’hygiène collective : des histoires de gastros au chantier Nourrir et penser les luttes dans le Var a montré le caractère essentiel de l’installation de facilités pour se laver les mains à la sortie des toilettes, ainsi que d’avoir des systèmes de désinfection dans les auto-washs (par exemple avec de l’eau chaude).
Tous les points logistiques font souvent l’objet d’un mail aux personnes inscrites
au chantier, quelque temps en avance. C’est l’occasion d’expliciter un peu les conditions d’accueil, de demander s’il y a des besoins spécifiques, et aussi de sonder les ressources que les participant·es peuvent apporter.
Ressources De nombreuses ressources existent sur ces questions. On peut se référer, par exemple, à Rage de camps, Piste et outils pour des campements auto-gérés : https://ragedecamp.eu.org/telechargement |
1.7 Gérer les inscriptions et les arrivées
Pour les inscriptions au chantier, différentes questions se posent. La première étant le nombre de participant·es. Pour certains chantiers, la limite était à 8 personnes, pour d’autres autour de 80. Il y a eu un chantier avec trois participantes. Cela peut donc être très variable, et cela dépend des objectifs de chantier, des capacités d’accueil, des formats proposés (à 80, ce n’est pas simple d’avoir une discussion tous·tes ensemble !).
Par ailleurs, que fait-on, si notre jauge est à 20 participant.es, et que nous recevons 60 demandes d’inscriptions ? À ce moment-là, il faut choisir. Pour chaque chantier, les « conditions » se posent différemment. Une volonté de mixité ? De proximité territoriale ? D’appétence pour le sujet ? De possibilité d’être là tout au long du chantier ?
Ce n’est jamais simple. Un exemple est de fixer une date limite d’inscriptions pour ne pas appliquer une politique du premier venu. Une fois cette date dépassée, les organisateur·ices s’engagent à répondre à tout le monde, de façon positive ou non. C’est aussi possible de tirer au sort si nous n’avons pas établi de critères. Enfin il est aussi possibilité d’utiliser un formulaire d’inscription en ligne pour faciliter la gestion des inscriptions comme framaform, outil libre et gratuit.
La dernière difficulté est liée au temps de présence des participant·es sur le chantier. Si celui-ci dure une semaine, cela peut être contraignant si certain·es ne peuvent être là que les 4 premiers jours ou que les 3 derniers. Il faut se demander si c’est un souci ou non pour son chantier, ou bien au cas où les présences varieraient, de quelle façon maintenir malgré tout une dynamique de groupe. Gérer les allées et venues des personnes peut être une énorme charge, notamment si le lieu est difficile d’accès et nécessite de faire des navettes par exemple. Cela peut couper une ambiance de groupe, mais aussi être une manière d’apporter de l’énergie et des forces vives.
Voir la rubrique 2.1- Accueillir les arrivant·es
1.8 Penser un programme (et la place des propositions)
Voir la rubrique 1.1- Formuler les intentions du chantier
Un programme peut-être plus ou moins construit à l’avance, plus ou moins ouvert. Certain·es organisateurices construisent un programme assez précis du déroulement du chantier. Dans le chantier écoféminisme dans le Minervois, les organisatrices disent que cette anticipation leur a permis de poser un cadre rassurant pour les participantes, et qu’elles ont trouvé de la souplesse en son sein. D’autres chantiers préparent un programme semi-ouvert ou complètement ouvert, comme au chantier Autonomie sur le plateau de Saclay, où le premier jour fut consacré à la construction du programme avec des propositions d’ateliers faites par les participant·es. Le chantier Sentir-penser une recherche-action-création a mis en chantier le rapport au temps et à l’efficacité en sortant du rapport aux horaires et au programme que l’on connaît : iels étaient une dizaine et ont fait le choix de faire avec les élans du moment. Pour les participant·es, ce rapport au temps a été un apprentissage en tant que tel.
Certains chantiers ont fait le choix de séparer matinée travaux manuels / après midi réflexions (discussions, écoute de podcasts, arpentages de textes, etc.). Si ce format marche parfois, ce n’est pas la seule façon de faire – si l’on prend au sérieux l’entremêlement du théorique-pratique, c’est plutôt le cadre, la dimension réflexive, l’explicitation des pratiques au sein du chantier qui permettent ce croisement.
Il est donc possible de ne faire « que du manuel » pendant tout un chantier, comme au Jardins aériens. Autonomie alimentaire et internationalisme à Montreuil où des objectifs matériels ont formé la colonne vertébrale de la semaine (refaire le sol, repeindre les murs, installer l’électricité). Il est alors apparu que la distinction entre pratique et théorie est inopérante et les deux s’imbriquent étroitement : faire ensemble active des discussions, des questionnements, des théories, etc.
Surcharge / Repos
Certains chantiers ont regretté d’avoir surchargé le programme – entre travaux manuels, discussions, soirées, veillées, projections – les activités s’enchaînaient, et cette course a pu générer des frustrations et de l’épuisement. De manière générale, on aime dans les chantiers laisser des soirées pour simplement discuter, jouer à la coinche, partir en balade. Certains ont même calé un temps « ne rien faire » qu’on s’efforce de ne pas remplir d’activités trop chouettes.
1.9 Porter collectivement le chantier
Porter un chantier, vous commencez à le voir, c’est du boulot, n’est-ce pas ? Il faut penser le programme, l’animation des temps, le matériel pour le chantier, les outils, l’approvisionnement, le matériel de cantine, les menus, les tâches d’autogestion, le soin, et ça n’aura même pas encore commencé. Alors, si vous vous embarquez là-dedans, comptez-vous, et prenez soin de bien vous répartir la charge mentale. Le porter en groupe nous semble indispensable. Ensuite, tout l’enjeu est de savoir lâcher de la charge au fil du déroulement du chantier, et mettre en place les conditions propices pour l’autogestion, pour que les participant·es se saisissent de la vie collective.
Au sein de certains chantiers, une poignée d’organisateurices se sont retrouvé·es à assumer l’animation, la référence de la cuisine, l’achat de matériel pour le chantier, la comptabilité, la bonne ambiance du groupe, etc. Tout cela peut vite devenir ingérable. Définir des rôles précis et délimités peut permettre d’éviter une dispersion – et si au sein de l’organisation les forces vives sont insuffisantes, il ne faut pas hésiter à mobiliser les participant·es.
Voir la rubrique 2.4- Pratiquer l’auto-gestion
1.10 Traces : se préparer à en créer
Garder des traces des chantiers peut être un processus riche, qui peut avoir sa place pendant (et pas seulement à la fin ou après), et qui permet de créer des espaces particuliers de dialogue, de transmission, d’expression, etc. Il peut prendre des formes très différentes selon la nature du chantier, les sensibilités des participant·es, les moyens disponibles, les intentions et les objectifs politiques.
Par exemple, lors du chantier Habiter les milieux énergétiques au moulin d’Angreviers, il y a eu trois types de traces avec des processus distincts :
- Un podcast qui permet de faire un « appel » pour se relier entre communautés qui réactivent des moulins dans une perspective d’écologie populaire. Une personne formée au podcast avait été invitée à participer au chantier explicitement pour faire ces captations ;
- Des petites fiches (tutos) pour rendre facilement « remobilisables » les savoir-faire mis en pratique (maçonnerie d’un canal souterrain, maintenance d’une turbine hydroélectrique, relevés naturalistes) ;
- Des captations audio des moments d’assemblées collectives où ont été discutés
- les paradoxes de la continuité écologique, ou des communs révolutionnaires.
Aborder le sujet des traces avant le chantier, ça peut aider à prévoir des espaces dans le programme, du matériel (feuilles, imprimante, feutres, matériel de reliure, matos sonore, matos photo, etc.).
Au chantier Reprises de savoirs chauffants de Concarneau, l’envie de garder des traces a été portée tout au long du week-end par le groupe de manière individuelle et collective. Un·e des participant·e s’est appuyé·e sur son désir de faire des BDs pour illustrer des moments du chantier. Assis·e entre l’équipe qui construisait le poêle et celle qui mastiquait les fenêtres, iel dessinait, prenait note de phrases rigolotes, décortiquait les différentes étapes du chantier, sans y prendre part manuellement, offrant en fin de journée un beau souvenir ludique du travail accompli. Un appareil photo collectif était aussi à disposition. Cet élan de traces s’est finalement conclu en un poème de jeux de mots collectivement et spontanément écrit autour de la bauge du poêle.
Voir la rubrique 3.4- Traces : partager ce qui s’est fabriqué
Pendant le chantier
Au début du chantier il est fréquent de prendre un temps (parfois une journée) dédié à l’accueil, pour présenter l’intention du chantier, le lieu, le cadre de vie commune, le fonctionnement de l’auto-gestion et le programme du chantier, le réseau Reprises de Savoirs…. ou d’autres points encore qui vont faire l’objet des rubriques de la partie Pendant le chantier.
2.1 Accueillir les arrivant·es
Souvent, il y a beaucoup d’informations à transmettre au début. Au chantier Énergie, pouvoir et autonomie à la ferme de Montabot dans la Manche où les 80 participant·es attendu·es sont arrivé·es au compte-goutte, un tract d’accueil a été distribué avec toutes les informations importantes, le programme, une carte des lieux, etc. Au chantier Habiter des milieux énergétiques au moulin d’Angreviers, les organisateurices avaient aussi construit un petit livret que les participant·es ont reçu en avance, avec des informations sur le chantier mais aussi sur l’histoire du moulin, de l’association porteuse, etc. Ailleurs, le choix a été fait d’avoir un moment inaugural pour passer ces informations. Ce moment introductif a parfois été rythmé par une visite des lieux.
Une des difficultés pour un chantier est de s’assurer de la bonne retransmission des informations à celleux qui n’ont pas été présent·es à cette séquence introductive. C’est pourquoi certains chantiers choisissent en priorité les participant·es qui peuvent arriver le premier jour. D’autres travaillent à créer une signalétique complète sur de grands posters. Certains ont discuté la possibilité de formaliser un rôle d’accueil, pour qu’il y ait toujours une personne prête à poser ses outils pour accueillir un·e nouveau·nouvelle.
Voir la rubrique 1.7- Gérer les inscriptions et les arrivées
2.2 Faire connaissance et briser la glace
Les stratégies pour briser la glace sont nombreuses. Au chantier De l’héritage colonial à l’habiter en commun, après un topo sur le déroulement de la semaine, nous sommes allé·es toustes ensemble cueillir des pommes – nous devions faire des groupe de 3-4 et raconter ce qui nous avait motivé à venir ici. Au chantier Savoir/faire avec la nature, explorations écoféministes, la semaine a commencé avec un tour de « météo » en plénière : un temps en grand groupe qui donne la parole à chacun·e pour partager ce avec quoi iels arrivent. Une infinité de moments comme ceux-là peuvent être imaginés, selon les appétences et les savoir-faire en présence ; le tout étant peut-être de soigner ces premiers moments et mettre rapidement au travail la dynamique collective.
Car des loupés peuvent avoir lieu quand les groupes n’apprennent pas à se connaître. Par exemple, le chantier Des récits contre l’artificialisation de la forêt s’est organisé très rapidement pour recueillir des témoignages d’habitant·es à l’annonce d’une journée de rassemblement dans le Jura. Les participant·es ne pouvaient se déplacer que 4 jours. Ainsi, à peine arrivé, le groupe était déjà jeté dans un rassemblement de 200 personnes et en discussion avec le collectif de lutte locale. Les organisateurices étant déjà un groupe constitué et ayant l’habitude de travailler ensemble, iels ne se sont donc pas rendu·es compte du réel besoin pour les autres de se rencontrer, de faire groupe, de se mettre à l’aise.
2.3 Faire circuler des savoirs
La circulation des savoirs et leur prise en main par toutes et tous est au cœur des chantiers de Reprises de Savoirs. L’intérêt du format chantier qui combine de nombreuses approches autour d’une thématique ou d’une problématique est de mobiliser un ensemble de savoirs qui adresse l’objet du chantier de façon différente. En creusant une mare, on peut s’intéresser d’un point de vue technique, d’un point de vue écologique, d’un point de vue socioculturel et historique (qui creuse des mares et pour quelles raisons?). Pendant le chantier Creuser une mare et tisser des alliances inter-espèces, les personnes se sont aussi posé des questions sur la géographie des lieux, les endroits depuis lesquels les grenouilles pouvaient rejoindre la mare – iels se sont baladé·es autour du quartier pour identifier les zones humides, les corridors écologiques. Des étudiant·es en gestion et protection de la nature sont venu·es discuter avec des militant·es – posant ainsi la question du rôle des savoirs naturalistes dans les mobilisations écologiques. D’autres ont aussi proposé de chanter, de danser, de jouer pour s’activer le matin. Beaucoup de personnes différentes ont eu un rôle de transmission, beaucoup ont appris ensemble en arpentant des documents sur les mares. Certain·es ont inventé un rituel d’inauguration en apportant de la vase d’une mare forestière voisine, bref, dans ce chantier, ont été mobilisé·es une multitude de savoirs, sans que celui-ci ne circule que dans un sens. De cette façon nous tentons de déplacer la posture du formateur·ice qui n’aurait rien à apprendre des autres, et du ou de la participant·e passif·ve que ne serait là que pour recevoir.
Ce qui est mis en chantier, ce sont nos façons d’apprendre collectivement les un·es des autres. Au chantier Les centrales sont-elles centrales, parti de Landivisiau en Bretagne, les organisateur·ices ont proposé de discuter de la centralisation électrique en partant en randonnée de centrales en centrales et y collecter des traces, orales ou matérielles. Des personnes ont transmis leurs savoirs théoriques sur la question du nucléaire, d’autres ont parlé de leurs vécus depuis des lieux de luttes contre des grands projets énergétiques, et d’autres se sont concentré·es sur une approche sensible et géographique en récoltant des traces pour cartographier les enjeux énergétiques du territoire. Le dernier jour de consolidation-restitution a permis de finir et présenter des cartes, des frises, des schémas fonctionnels de centrales et des chansons sur EDF. Encore une fois, c’est par la multiplication des points de vue et des rapports à une problématique que les personnes ont créé une communauté de savoirs autour du thème des centrales énergétiques.
2.4 Pratiquer d’auto-gestion
Dans les chantiers Reprises de Savoirs, l’auto-gestion a une place importante. Dans le cadre des chantiers, elle se caractérise par la prise en main et le souci collectif du chantier qui se déroule. Pour la rendre possible, le mieux est de poser un cadre explicite qui permet d’engager les personnes à prendre des tâches : tenue des horaires, cuisine, vider les toilettes sèches, animation, vaisselles, rangement des outils, rangement des espaces communs, ou des références (cuisine, outils, etc.). Préparer le chantier, c’est donc aussi délimiter et préparer l’autogestion qui aura lieu. Le plus courant est d’essayer de baliser les tâches qui permettent la reproduction de la vie quotidienne dans un « tableau des tâches » où les personnes s’inscrivent.
Ressources Il est possible de regarder aussi le fanzine L’autogestion c’est pas de la tarte : https://link.infini.fr/infokioskes-autogestion |
2.5 Rythmer les journées
Faire un chantier ensemble demande de tenir des rythmes communs. Par exemple,
un cercle d’ouverture le matin peut-être l’occasion de faire le point sur l’avancement des travaux, de se répartir en équipe, de se dire comment on va, de sonder nos attentes pour la journée, plutôt que de démarrer immédiatement. Parfois, dans un groupe, il y a des animateurices de colo, des personnes qui ont fait du théâtre, des danseureuses ou des circassien·nes, enfin des personnes qui ont le goût pour animer de manière chouette ces moments-là ! C’est l’occasion de faire un jeu ensemble ou de se mettre dans une énergie collective pour démarrer.
On a parfois regretté de ne pas avoir eu une cloche, une cymballe ou une sirène de pompier pour rythmer les temps de la journée. Tenir les horaires, indiquer à tout le monde qu’il est l’heure de manger, de finir la journée, de se réunir, c’est un rôle important qui peut-être pris par quelqu’un·e dans l’auto-gestion pour en décharger les organisateur·ices.
Voir la rubrique 1.8- Penser un programme
2.6 S’assurer pendant le chantier
Que l’on construise un four à pain, des structures en métal pour des tonnes à eau ; que l’on taille des pierres, ou que l’on réhabilite des bâtiments, que l’on démonte une vanne à moulin ou simplement que l’on arpente à pied le territoire ; les chantiers ne sont pas de tout repos.
Les organisateur·ices du chantier sont responsables du cadre de sécurité partagé
et mis en place, c’est-à-dire que tout doit être mis en œuvre pour assurer la sécurité des personnes qui prennent part à vos activités. Cela passe notamment par :
- S’assurer que chacun·e ait le bon niveau d’information et d’équipements pour mener à bien l’activité ;
- Prendre le temps de présenter les différents outils, les bons gestes techniques
- et les règles de sécurité à respecter (et refaire des briefs réguliers) ;
- Identifier des référent·es, c’est-à-dire des personnes vers qui on peut se tourner
- en cas de doute, ou si l’on a besoin d’aide ;
- Inviter chacun·e à conscientiser son état physique et psychique (fatigue, douleurs, émotions, etc.) et à les prendre en compte dans le niveau de sollicitation de nos corps. Cela implique de nommer que chacun·e est libre et responsable d’accepter ou non une activité et de la moduler selon ses besoins ;
- Faire vivre la co-responsabilité sur le chantier : chacun·e a la légitimité de signifier à l’autre qu’iel ne se sent pas en sécurité, demander à l’autre de changer son comportement et de respecter les règles fixées ensemble.
Malgré toutes les précautions et l’attention portée par chacun·e à la sécurité sur un chantier, un accident est vite arrivé. Pour cette raison il est important de :
- Préparer une trousse de secours complète accessible à tous·tes ;
- Nommer une (ou plusieurs) référent·e à prévenir immédiatement en cas de bobo, de coup de mou ou de blessure plus grave, qui pourra accompagner la personne jusqu’à la fin de la prise en charge ;
- Identifier au sein du groupe qui sont les personnes formées aux gestes de premiers secours / ayant un brevet de secourisme ;
- Identifier le véhicule qui peut être mobilisé à tout moment pour un déplacement d’urgence (et s’assurer que les clés sont à un endroit connu des référent·es).
Ressources Pour des informations plus techniques sur les responsabilités juridiques et les assurances, une ressource de l’OFB sur les chantiers bénévoles : https://link.infini.fr/ofb-chantiers-benevoles |
2.7 Faire à manger
Quand on fait à manger pour un grand nombre, il y a plusieurs questions à se poser et c’est toujours bien d’anticiper sur la cantine, car on a déjà vu pendant des chantiers une charge stressante retomber sur seulement quelques personnes.
Cuisiner pour 30, 40, 100 personnes suppose d’avoir le matériel adapté.
Là aussi, la cantine dépend énormément du nombre de bouches à nourrir et du matériel en présence. Certains chantiers montent des cuisines de A à Z pour l’occasion ; dans ces cas, iels s’appuient sur des cantines extérieures possédant du matériel. Au chantier De l’héritage colonial à l’habiter en commun à Lannion , ce sont des participant·es qui ont ramené du matos de cuisine collective. D’autres chantiers ont lieu dans des lieux déjà équipés pour cuisiner en quantité comme au chantier Écologie Politique d’une vanne à moulin à la Quincaillerie à Venaray-les-Laumes. Préparer la cantine pour un chantier peut-être un rôle à part entière dans la construction d’un chantier, géré par une, deux ou trois personnes.
Quels régimes alimentaires ?
Il est pratique de connaître dès le départ les spécificités alimentaires des participant.es pour pouvoir adapter les menus et les stocks. Combien de personnes ne mangent pas de gluten ? Est-ce qu’une personne risque d’aller à l’hôpital si des cacahuètes traînent en cuisine ?
Des menus ?
Quelques chantiers ont préparé à l’avance des menus et des fiches recettes avec les quantités, des étapes, etc. Ça a permis de mieux anticiper les quantités de nourriture, et aussi hautement facilité la tâche d’auto-gestion «cuisine». Au-delà de 50 personnes, ça devient presque une nécessité ! Quand on fait un menu, c’est bien de connaître les quantités par personne ; ça évite le stress du manque ou du gaspillage.
Une référence principale est le livre Cantine, précis d’organisation de cuisine collective. Il est malheureusement épuisé… Sinon, il y a cette brochure sur infokiosque : Cuisine de survie, ou comment nourrir 100 personnes ou plus dans la joie et la bonne humeur… avec 21 recettes faciles à faire. Il suffira de faire les conversions de quantité pour vous y retrouver ! https://link.infini.fr/infokioskes-nourrir-100-personnes
2.8 Considérer les oppressions systémiques
« Certain·es peuvent avoir un master ou un doctorat quand d’autres ont pu quitter l’école à 15 ans. Certain.es ne savent pas nommer ce qu’iels savent. Tout le monde n’a pas la même expérience de la vie en collectif et les mêmes besoins. Certain·es parlent la langue du pouvoir, d’autres celle de la rue, des champs et des usines. Certain·es ont un savoir livresque, d’autres issu de leurs expériences. Certain·es ont l’habitude des assemblées, d’autres en ont peur. Certain·es se sentent légitimes, d’autres moins. Certain·es parlent une langue fraîche et à la mode, d’autres ne connaissent pas ces nouveaux mots. Certain·es ont de la distance avec leurs émotions, d’autres en sont débordé·es… Certain·es parlent et écrivent dans leur métier, d’autres préfèrent leur corps, leurs gestes, pour s’exprimer avec le plus de justesse. Ici, nous souhaitons que chacun·e s’exprime avec les mots qui lui sont proches, intimes. » — Extrait du texte d’accueil de l’inter-chantiers des Tanneries 2022.
Des formes d’attention particulières émergent de chantiers qui relèvent de la culture de soin. Des tonnes de gestes, de manières de dire, de manières de faire et de poser les questions, qui mises bout à bout font du bien aux relations, cultivent nos sensibilités et nos facultés à « faire ensemble ».
Racisme, Sexisme, Validisme, Âgisme & Enfantisme, Classisme, Homophobie, Transphobie, Biphobie… Pendant un chantier toutes les oppressions systémiques se rejouent. Les oppressions ont cela de particulier qu’elles sont parfois invisibles quand on ne les nomme pas. Elles peuvent passer par des postures individuelles et collectives, profitant des angles morts. Si les organisateur·ices de chantiers ne peuvent pas tout prévenir, tout anticiper, il est important que ces réalités soient prises au sérieux. Des oppressions ont eu lieu dans tous les chantiers, et un tout petit nombre ont su mettre le doigt dessus et se douter d’outils d’interventions. Pour ne citer qu’un seul exemple, un chantier anonyme a vécu une situation de sortie de l’invisible du sexisme. Des participant·es du chantier, mal à l’aise dans une ambiance trop virile, se sont assemblé·es en non-mixité sans homme cis-genre puis ont pris la parole au sein d’une AG pour faire part de leurs inconforts. Sur le moment, il n’y a pas eu de réponses adaptées par les personnes responsables de cette ambiance, ici les hommes cis-genres. Le chantier s’est terminé dans une ambiance tendue. Dans d’autres cas de figure, certaines situations ont pu trouvé une issue positive. Dans un chantier où le travail intellectuel avait une place prépondérante, le temps du débrief final a été très important. Celui-ci a permis de détricoter les malaises et les incompréhensions que cela avait pu générer.
De nombreux chantiers intègrent des gestes dans le cadre de coopération, la logistique, qui préviennent l’impact des oppressions systémiques. Certain·es ont mis en place des espaces particuliers, comme des ateliers électricité en mixité choisie de genre au chantier Énergie, pouvoir, autonomie, permettant de fait de pallier à la difficulté d’accès d’un certain type de savoirs pour les personnes assignées femmes.
Ressources Pour plus d’outils concernant le soin, on peut s’appuyer par exemple sur le travail de Diffraction (https://diffraction.zone/boite-a-outils). De nombreuses ressources existent sur ces sujets, par exemple le kit anti-oppression de Ulex : https://link.infini.fr/kit-anti-oppression-ulex |
2.9 Ouvrir des espaces d’expression et de négociation
Pour faciliter l’expression d’inconforts ou de malaises, les chantiers ont mis en place un tas d’outils et de dispositifs qui répondent à des enjeux différents. Par exemple, plusieurs chantiers ont mis en place des boîtes à criée, dépouillées pendant le chantier pour s’adapter ou réagir à ce qui se passe. Le principe : écrire des mots de façon anonyme dans une boîte, pour ce qui peut être difficile à exprimer en grand groupe, déposer des coups de gueule, des pépites, des mots d’amour, des difficultés ou la description d’une situation oppressive ; et les lire collectivement au moment du dépouillement. Ont aussi été mises en place des météos, pour décrire son état à certains moments de la journée, faire de la place pour entendre ce que les autres ont à dire, et le prendre en compte dans le déroulé. Au chantier Énergie, pouvoir et autonomie de Montabot, a été proposé un point de mi-parcours sur les dynamiques de groupe. Il existait aussi, pendant ce chantier, des rôles tournants d’oreilles, personnes auxquelles on peut se confier et qui sont présentes pour faire remonter des problématiques.
Tous ces outils peuvent permettre d’adresser des problèmes. Pour y répondre, le cadre du chantier s’ajuste, se négocie (le programme, le rythme, les tâches).
Après le chantier
3.1 Ranger, laver, débriefer
Une fin de chantier peut être assez épuisante : à la (bonne) fatigue de l’organisation et du moment collectif, s’ajoute celle de la nécessité de tout ranger. Cela peut paraitre trivial, mais une fin s’anticipe, en se disant qu’un chantier ne finit pas à la date où les participant·es partent. C’est le moment où il s’agit de prendre le plus soin de soi, et être sûr·es d’être suffisamment nombreux·ses pour finir de ranger l’espace du chantier, de démonter le camp, bref, de clôturer la séquence. Si cela parait pertinent de demander à certain·es de rester quelques jours de plus pour filer la main, c’est toujours mieux de l’anticiper.
De nombreux chantiers ont pris des moments dédiés de débrief, avec tout le monde, puis entre organisateur·ices. À la fin du chantier Luxe communal / déserter l’art extractiviste, la dernière matinée a été dédiée à un tour sous la forme « pépite-cailloux » : chacun·e a été invité·e à nommer un quelque chose de positif avec lequel iel repart, sa pépite, et quelque chose de plus désagréable, négatif, à améliorer, son caillou.
Il existe une fiche qui s’appelle Donner et recevoir des retours par Seeds for Change et traduite par Agir pour la Paix : https://link.infini.fr/fiche-donner-et-recevoir-des-retours
3.2 Penser ou prendre en charge la suite
Plusieurs chantiers ont donné des suites d’eux-mêmes : certains se sont reproduits, comme le chantier Creuser une mare à grenouilles, d’autres ont donné lieu à des dynamiques nationales, comme les Naturalistes des Terres ou les Bâtisseureuses des Terres. Certains chantiers ont également renforcé des liens entre des lieux et leurs voisin·es, entre des collectifs ou bien tout simplement entre des personnes. Il faut se préparer au fait qu’un chantier ne s’arrête pas nécessairement après sa date de fin : ce qu’il initie peut se poursuivre dans le temps long.
3.3 Participer à l’inter-chantiers
La coordination de Reprises de Savoirs organise chaque année un moment d’inter-chantiers, où organisateurices et participantes de chantiers divers peuvent se rencontrer. La première année, cette rencontre était nationale. Elle a permis de se raconter nos expériences et de discuter de thématiques transversales aux chantiers (l’accueil, le soin, la diversité des participant·es, la reprise de communs, le soutien aux luttes, etc.). En 2024, nous avons décidé d’organiser des inter-chantiers régionaux, afin de permettre la mise en place de réseaux d’entraide plus localisés.
Les moments d’inter-chantiers sont l’occasion de retours pour aider à organiser des chantiers (organisation logistique ; articulation des savoirs ; outils micro-politiques ; communication ; production de traces après les chantiers… ), des temps de « déformation » (pour se départir de certaines relations aux formes d’apprentissage et de transmission, et en proposer d’autres), des temps d’échanges politiques sur la dynamique, des temps pour approfondir des liens et des actions communes entre chantiers traitant de thématiques communes et s’allier avec d’autres forces politiques proches et proactives qui se fabriquent. Des chantiers ayant eu lieu sur des moulins ont l’envie d’activer un mouvement de « reprises de moulins ». L’inter-chantier est un espace pour encore inventer d’autres propositions !
Il existe un framateam pour participer au réseau inter-chantiers virtuel :
https://link.infini.fr/framateam-inter-chantiers
3.4 Traces : partager ce qui s’est fabriqué
Les traces transmises par les organisateur·ices des chantiers et récoltées par la coordination de Reprises de savoirs s’articulent en deux groupes :
- Les récits de chantiers : par exemple, le chantier Arboraison à Bonny sur Loire a raconté ce qui s’est passé sur le chantier jour par jour ; le chantier Graines de luttes à Rennes a produit un wiki afin de raconter les évènements qui s’y sont déroulés ; trois chantiers ont donné lieu à des podcasts sur Avis de Tempête ;
- Les transmissions de savoir-faire : par exemple, le chantier Énergie, pouvoir, autonomie à Montabot a produit des modes d’emplois pour permettre à des personnes qui n’y étaient pas présentes de reproduire les petites constructions qui s’y fabriquaient ; pour le chantier Écoféministe, un recueil a été créé afin de partager des ressources sur le sujet ; Sentir-penser une recherche-action à la ferme de Combreux a donné lui a un guide pour apprendre à réfléchir autrement le rapport à la langue (Traduire du français aux français, 2022, Myriam Suchet, Éditions du commun)…
Un jour peut-être, ces traces figureront sur le site de Reprises de Savoirs, et de l’une à l’autre, nous nous rappellerons les diverses façons dont nous avons fait école !
Colophon
Ce cahier a été imprimé en 200 exemplaires, relié et massicoté par de multiples mains lors d’un moment d’inter-chantier en mars 2024.
Pour nous contacter : salut@reprisesdesavoirs.org
Typographies
Ont été utilisées les typographies Sabot, Nicostrat composée par Martin de Fonderie d’usage.
Usages du document
Tous droits de traduction autorisés pour tous pays. La reproduction, même fragmentaire, sous quelque forme que ce soit, est autorisée et encouragée, à condition de partager le document dans les mêmes conditions, et d’en citer la source : Poursuivre les chantiers (V0), Reprises de savoirs (coord.), mars 2024, 28 pages, CC BY-SA 4.0.
Publications précédentes avec Reprises de savoirs
- Podcast diffusé par Avis de Tempête, S2 Épisode #13, « Cet été, toutes en chantier ! Rencontres avec les reprises de savoirs » (mai 2023)
- Podcast diffusé par Avis de Tempête, S3 Épisode Hors Série #2, « Habiter des milieux énergétiques – Prendre soin d’un moulin avec Énergie de Nantes » (mars 2023)
- Podcast diffusé par Avis de Tempête, S3 Épisode #3, « Fabriquer des alternatives décoloniales depuis les luttes sans papiers – Récit de chantier avec l’association A4 » (décembre 2023)
- Podcast diffusé par Avis de Tempête, S3 Épisode Hors Série #1, « La Toupie Tourne – Reprendre le bâtir au béton » (novembre 2023)
- Zine « Déformations » (novembre 2023)
- Brochure « Glossaire critique pour s’orienter en terres écologistes » (juillet 2023)
- Brochure « Auto-déformations » (novembre 2022)