Qui ? Quoi ? Quand ? Où ?
Le Centre Indigène de Formation Intégrale (Centro Indígena de Capacitación Integral) ‘Fray Bartolomé de las Casas’ et l’EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale), à partir des années 1980, jusqu’à présent, à San Cristóbal de las Casas, Chiapas, Mexico. Le CIDECI commença comme une série de centres de formation communautaire situés dans quelques localités rurales éloignées du Chiapas. Puis, ces centres furent ultérieurement rassemblées dans la périphérie de San Cristobal de las Casas et, en 2005, le projet s’installa définitivement dans son emplacement actuel : une parcelle d’environ 20 hectares dans un quartier semi-rural de la ville où des bâtiments bas en terre, des potagers et des sentiers de pierres furent érigés par leurs usagers au fil des années. Au moins depuis 1994, avec le soulèvement zapatiste et le chemin de l’autonomie et la résistance ouverte par le mouvement, le CIDECI se présente comme un projet pour accompagner la construction de l’autodétermination et de la démocratie radicale. Aujourd’hui, il est aussi connu comme l’Université de la Terre (CIDECI-UniTierra) : à savoir, un point de convergence entre des ateliers de métiers pour renforcer la subsistance des communautés autochtones et des lectures, des rencontres, des analyses et des discussions interculturelles sur l’histoire et le présent du Chiapas, les mouvements sociaux ailleurs et l’ouvre critique de penseuses et penseurs comme Vandana Shiva, Immanuel Wallerstein et Ivan Illich. En 2019, l’affinité, le soutien réciproque et le rapprochement progressif à l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) transformèrent le CIDECI-UniTierra en l’un des caracoles zapatistes, c’est à dire l’un des sièges des Conseils de Bon Gouvernement, les organes de gouvernement autonome de l’EZLN.
Le CIDECI-UniTierra est placé aux marges de San Cristóbal de las Casas, au pied des montagnes. Les bâtiments sont bien soignés et entretenus, très humbles et colorés, avec beaucoup de peintures murales. Il y a des fleurs et de la verdure partout et des sentiers en petites pierres blanches qui se dressaient en plusieurs directions. Une cantine, une petite maison-bureau dédiée à l’administration-coordination du lieu, plusieurs baraques de diverses tailles pour héberger les ateliers de formation, quelques dortoirs, une chapelle, des poulaillers, des terrasses agricoles, un étang, une bibliothèque-salle de séminaires, des dépôts d’archives et un grand auditorium donnent forme à un centre de formation qu’avec ses puits d’eau, ses panneaux solaires et son système de traitement d’effluents opère en autonomie, sans dépendre des infrastructures et les services publics de l’État.
Apprentissage pour la subsistance
Le cœur du CIDECI-UniTierra se trouve dans plus de 20 ateliers de formation qui sont situés dans les divers bâtiments du centre. Ce sont des ateliers de métiers qu’on pourrait regrouper en cinq catégories principales :
– la ferme intégrée : l’agriculture, l’élevage à petite échelle, la sylviculture, la pisciculture, la floriculture et la production de champignons
– les ateliers techniques : la charpenterie, le forgeage, l’électricité, l’électronique-radio, la mécanique automobile, la maçonnerie, la fabrication de chasseurs et d’instruments musicaux
– les ateliers artisanaux : la poterie, le tissage de fils et de tissus, la coupe et la couture, la sérigraphie, le graphisme et la peinture
– le module d’alimentation et de santé : la cuisine, la boulangerie, le traitement du maïs et l’élaboration de tortillas, mais aussi l’herboristerie, l’odontologie et l’infirmerie
– le secteur d’hébergement et de services : l’apprentissage de l’informatique, la musique, la mécanographie et l’atelier d’alphabétisation.
Les échanges interculturels et la réflexion critique
Tous et toutes les cursantes « internes » (c’est-à-dire qui habitent sur place) suivent un séminaire hebdomadaire de discussion et d’analyse collective sur la situation passée et présente du Chiapas, et sur les luttes et les mouvements du Mexique et le reste du monde. Le débat intégral sur l’actualité est mené en espagnol (la langue commune qui permet les échanges interculturels), mais avec des traductions et des comptes rendus en tzeltal, tsotsil ou d’autres langues de la région. D’un côté, l’idée n’est pas d’apporter des « solutions » à des « problèmes », mais simplement d’apprendre ensemble des expériences diverses de résistance ; de l’autre, il s’agit d’un renforcement collectif du sens de communauté : ce sont ces discussions, avec la mise en perspective du pari politique du CIDECI-UniTierra orienté vers l’autonomie communautaire (mais sans tomber dans des mécanismes d’endoctrinement idéologique), qui permettent aux participants de mettre en valeur le travail coopératif et du tissage du commun. Parallèlement, il y a aussi des cercles de lecture ouverts à ceux et celles intéressés autour de l’œuvre intellectuelle de certains auteurs critiques comme Ivan Illich ou Immanuel Wallerstein. Et occasionnellement il y a aussi des cycles de conférences avec des invité.e.s et des grandes rencontres ou des festivals publics souvent organisés par l’EZLN.
L’entre-subsistance, les alliances de solidarité et l’art d’habiter
Le CIDECI-UniTierra est partiellement financé par des appuis solidaires nationaux et internationaux (surtout en ce qui concerne l’attribution de ressources pour les microprojets des cursantes qui se sont formés sur place). La maintenance de l’espace est garantie par les mêmes participants : elles et ils s’organisent une fois par semaine pour entretenir collectivement le lieu et les produits issus de leurs pratiques dans les divers ateliers sont fréquemment réutilisés en interne – les légumes cultivés et le pain cuit sont mobilisés pour la cantine, les meubles de l’atelier de charpenterie placés dans la bibliothèque, et les tissus des pratiques de coupe et coudre transformées en des rideaux pour la salle de séminaires, par exemple. La variété des formations devient donc une contribution fondamentale à la construction de leur autonomie. Par ailleurs, même si les cursantes ne dépensent rien pour se former et vivre sur place (le CIDECI-UniTierra est radicalement non-payant) parfois certain.e.s amènent de manière volontaire des contributions de leurs villages, habituellement des fruits ou des récoltes saisonnières comme le maïs ou les haricots. Ces apports sont ultérieurement mis à disposition pour l’usage collectif à travers de la cuisine qui fonctionne à son tour avec des responsabilités partagées et rotatives.
Ce qu’on peut retenir pour les chantiers-pluriversité
Communauté ouverte d’apprentissage anticolonial : L’accès est ouvert à tous ceux et toutes celles qui veulent apprendre, sans différenciation d’âge ou de génère, sans aucun examen d’admission et aucune exigence préalable de diplôme ou de justificatif du niveau d’études, mais la priorité est donnée aux personnes provenant des communautés autochtones de la région. Le nombre des participants est très variable : de 60 habitants dans les époques de fêtes ou des saisons agricoles, jusqu’a 250, 400, même 900 par année dans certains cas. Pour s’inscrire, il suffit de présenter un certificat de naissance ou un autre type de pièce d’identité et une lettre d’appui/recommandation issue de l’assemblé communautaire. Ces critères ne sont pas pour autant des critères formels et rigides : la participation de chacun, chacune est traitée cas par cas, face à face, avec l’accompagnement proche de la coordination. Comme il y a une proximité explicite avec le mouvement zapatiste, beaucoup des personnes qui arrivent au CIDECI-UniTierra viennent des communautés zapatistes, mais il y’en a aussi d’autres communautés non zapatistes ou même des quartiers périphériques de San Cristobal. Certain.e.s habitent sur place et d’autres passent seulement la journée pour suivre les ateliers. Il n’y a pas de durée établie, elles ou ils peuvent rester un mois, six mois, un an, quatre ans, partir et revenir autant de fois et quand elles ou ils veulent. Les personnes arrivent pour se former dans un ou plusieurs domaines spécifiques et partent quand elles en ont besoin ou quand elles estiment pertinent.
Non-hiérarchique : au CIDECI-UniTierra il ne s’agit pas d’enseignants qui transmettent des contenus a des élèves : les capacitadores (formateurs, facilitateurs) partagent leur expérience dans tel ou tel domaine d’une façon à la fois libre et personnalisée et les cursantes (apprentis, stagiaires) apprennent à partir d’un système d’entraide (celles ou ceux qui ont déjà acquis un peu plus d’expertise aident leurs compagnons à avancer). Dans plusieurs cas, les capacitadores sont en fait des anciens cursantes qui sont restés au CIDECI-UniTierra pour partager leurs savoir-faire. C’est non-hiérarchique aussi dans le sens qu’il n’y a pas une corrélation âge-niveau : le même atelier peut être suivi simultanément par des enfants de 12 ans et des personnes âgées.
Aprofessionel : il ne s’agit pas non plus de la professionnalisation certifiée pour entrer dans le marché du travail, mais plutôt de l’apprentissage continu des métiers qui permettent aux gens de lancer leurs propres projets et garantir leur subsistance : en lieu de diplômes ou de certificats de scolarité, le centre ouvre un espace de formation où chacun.e peut décider quand elle ou il a acquis ce qu’elle ou il venait chercher ; et quand les gens rentrent dans leurs communautés d’origine, le CIDECI-UniTierra essaie de fournir les outils, les matériaux et les ressources minimales pour qu’elles ou ils puissent commencer leur microentreprise et partager à d’autres personnes leur expérience.
Adisciplinaire : il n’y a pas de spécialisation exclusive par des parcours prédéfinis et il n’y a pas de mécanismes de contrôle pour évaluer les « connaissances » apprises. Les gens suivent les ateliers qui les convenaient le mieux (en général un ou deux, parfois trois, mais pour des contraintes de temps non pas plus) et peuvent changer à volonté. Si quelqu’un ou quelqu’une veut apprendre quelque chose qui n’est pas encore compris dans l’offre du centre, la coordination du CIDECI-UniTierra cherche les personnes propices et les moyens pour ouvrir le nouvel atelier. Adisciplinaire également parce qu’il n’y a pas d’examens pour évaluer les connaissances des cursantes ou d’autres mécanismes de pointage compétitif ou de supervision pour distinguer ceux-qui-savent de ceux-qui-ne-savent-pas. D’ordinaire il y a trois niveaux d’expertise par atelier, mais le passage d’un niveau au suivant est fait plutôt à partir d’exercices pratiques et des travaux de qualité, lorsque la ou le cursante sent que c’est le moment d’avancer.
Asalarial : même si les capacitadores reçoivent une contribution monétaire pour leur travail, l’échange n’est pas conçu comme une relation de dépendance employé-employeur basée sur un contrat de recrutement potentiellement remplaçable, mais plutôt comme un lien de solidarité réciproque avec des participants engagés dans le projet pédagogique et politique.
En savoir plus
Site web des séminaires de l’Université de la Terre : https://seminarioscideci.org/
Site YouTube des séminaires : https://www.youtube.com/channel/UCe-fnodJyn0CTfv2wfItJaQ
Entretien avec le coordinateur du centre (2005 ; anglais/espagnol) : https://inmotionmagazine.com/global/rsb_int_eng.html
Charte de l’organisation (2010 ; espagnol) : https://inmotionmagazine.com/global/global_pdfs/SIIDAE_5.pdf
Témoignages/récits extérieurs :
– https://enlivenedlearning.com/2013/01/16/visiting-another-unitierra-in-san-cristobal-chiapas/
– https://silviadistopia.wordpress.com/2015/03/05/autonomia-y-aprendizaje-en-cideci-unitierra/
– Déclaration de l’EZLN sur la création du caracol Jacinto Canek : https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2019/08/28/communique-du-ccri-cg-de-lezln-et-nous-avons-brise-lencerclement/
Premier Congrès Indigène du Chiapas :