Venus d’horizons divers, nous sommes des étudiant.e.s, chercheuses et chercheurs, enseignant.e.s refusant l’hégémonie de savoirs excluants et souvent destructeurs, des déserteurs de l’Éducation Nationale et de la Re- cherche, des militant.e.s de l’éducation populaire, des activistes engagé.e.s dans des lieux et des expériences visant à la reprise d’une autonomie politique et matérielle.
Nous nous sommes rencontré.e.s depuis plusieurs années et de manière informelle autour d’expériences d’écoles de la Terre en divers lieux, sur des zones à défendre, au sein de luttes pour les communs, autour de l’appel pour les Soulèvements de la Terre, lors des enquêtes et rencontres Reprises de terre, dans des cantines populaires.
Ce qui nous lie, c’est la défense, la récupération et le soin des milieux de vie, la pluralité des mondes terrestres, menacés par une machinerie guerrière qui s’attaque au vivant sous toutes ses formes, humaines et autres qu’humaines. Comment se projeter dans un monde secoué par le chaos climatique, l’effondrement du vivant, la précarité sociale, l’autoritarisme et la guerre ? Comment vivre ensemble et apprendre de nos expériences présentes et passées, ici et ailleurs? Comment « faire école » pour s’inscrire dans la durée ?
Les institutions de transmission et de production des savoirs, Éducation Nationale, Université fondent leur légitimité sur la production de « savoirs experts », uniformisés, sélectifs, qui subordonnent de plus en plus les connaissances à l’agenda industriel, à l’efficacité, aux logiques productivistes et concurrentielles, à l’adaptation aux chocs écologiques et sociaux. Elles sont déconnectés des nécessités et connaissances vitales auxquelles nous confrontent les chocs écologiques et la désolation sociale.
D’un autre côté, des expériences et lieux multiples, ancrés dans des territoires, mettent en lumière des savoirs marginalisés, déniés, souvent méprisés. Ce sont des lieux de recherche, d’enquête, de réflexions, de création, qui réévaluent les savoir-habitants, les savoirs sensibles, les savoirs de subsistance, des savoirs terrestres ancrés dans les manières d’habiter et de faire société, attentifs à dépasser les dominations qui excluent, humilient et minent nos mondes communs.
Voilà pourquoi nous appelons à investir cet été des chantiers collectifs un peu partout en France. Ils se tiendront dans des lieux déjà existants, qu’il s’agit aussi de renforcer et relier, des lieux en construction ou à inventer. Ils se dérouleront dans le cadre d’une vie collective et autogérée, attentive au soin des personnes, des lieux, des groupes. Soucieux de la pluralité des savoirs et des manières de les transmettre, inspirés d’expériences et réflexions passées et présentes, ils mêleront, en les décloisonnant, des temps forts de travaux manuels collectifs, des temps de partages de savoirs plus théoriques, des temps de création et de fête. Ils seront une ébauche pour l’invention de Pluri·versités de la Terre.
Pour l’archive, le premier appel, janvier 2022
Retrouver ici les chantier 2024
En 2023, bilans et perspectives des reprises de savoirs
L’année dernière, 23 chantiers-école se sont tenus à travers la France hexagonale, ciblant diverses problématiques. Durant ces chantiers et dans une égale dignité des savoirs, les participant·e·s ont alimenté des réflexions sur les façons d’apprendre, de s’instruire mutuellement, et proposé des idées pour faire et vivre collectivement.
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Chaque chantier constitue un moment particulier, autour de besoins propres au lieu, à la fois pratique, relationnel, politique et théorique. Tous ces chantiers ont soulevé encore plus de questions qu’ils n’ont apporté de réponses :
Comment rendre ces chantiers plus accessibles ? Comment sortir d’un certain entre-soi des milieux écologistes, être solidaire de luttes plus distantes de nos réseaux affinitaires ? Comment lutter contre les oppressions reproduites malgré nous ? Comment déconstruire ensemble nos manières d’apprendre, de réfléchir, de faire groupe, si profondément ancrées pour reconstruire des formes d’apprentissage plus émancipatrices ?
On le sait, les inégalités de genre, de race, de classe, de handicap, déterminent profondément l’accès aux savoirs. Certains enseignements sont plus valorisés que d’autres, comme les grandes écoles, les cursus universitaires au long cours, face aux formations professionnelles – dites manuelles – et les pratiques de subsistance, pourtant essentielles à l’intendance quotidienne de nos vies. Le plus souvent, l’école telle que nous la connaissons impose une transmission descendante, rigide, et souvent traumatisante. Il nous importe donc de remettre en question la manière dont les savoirs et les pratiques sont hiérarchisés, partagés et transmis.
Ici ou ailleurs, d’innombrables collectifs ont inventé des méthodes pour se (dé-)former ensemble, enseigner, apprendre et mettre en commun les connaissances, les idées et les savoir-faire : éducation populaire, écoles libertaires, universités autogérées … En 2023, Reprises de Savoirs continue de s’en inspirer, pour prendre soin des formes de vies et des luttes terrestres, en construisant des ponts avec l’éducation et l’écologie populaire, la solidarité avec les personnes en situation d’exil, en mettant des moments, des lieux ou des connaissances au service de luttes multiples.
Fort du succès de la première année de chantiers et de l’enthousiasme qu’ils suscitèrent, une rencontre fût organisée en novembre dernier à l’espace autogéré des Tanneries (Dijon), invitant organisateur.ices et participant.es. Ce moment nous a permis de prendre un recul autocritique, d’accueillir de nouveaux membres dans le groupe de coordination, et de commencer à assembler des traces de nos apprentissages.
Nous nous sentons les compagnon·ne·s d’innombrables initiatives qui structurent l’horizon politique actuel pour contrer la méga-machine qui homogénéise et dévaste la vie. C’est un fait, des mondes et des façons d’appréhender le terrestre s’affrontent.
Il a un monde qui creuse des méga-bassines, qui privatise l’eau, crée des déserts ruraux et agricoles d’un coté ; de l’autre il y a une agriculture paysanne qui veut rendre accessible le foncier agricole pour repeupler les campagnes et réparer la cohabitation avec les vivants non-humains.
Ailleurs, dans un quartier de l’agglomération parisienne, certain·e ouvre une maison de l’écologie populaire pour cultiver la richesse des liens et de la diversité, tandis que la puissance publique via des cabinets d’urbanismes impose d’une gentrification élitiste, normée et socialement excluante.
Nous pensons qu’il est important d’enquêter sur l’utilisation mortifère de certains savoirs qui maintiennent le régime de destruction des milieux et des communautés, mais aussi d’aller à la rencontre de celles et ceux qui permettent aux diversités d’éclore. Créer des outils et des espaces d’organisation ou de refuge, faire des ponts avec différents collectifs et milieux, pratiques ou luttes. De nombreuses pistes s’offrent à nous. Nous pensons qu’en contribuant à un chantier ou à son organisation, vous aussi pouvez donner forme à ce mouvement, aussi varié et multiple que ses participant·e·s.
Texte publié sur lundi matin :
https://lundi.am/Pour-des-chantiers-reprises-de-savoir
Pourquoi nous rejoignons les reprises de savoirs
Sorti de bac pro, envie d’en apprendre encore
J’ai effectué quelques diplômes professionnels de 5eme niveau (taille de pierre, horticulture, poterie). C’est-à-dire jamais au-delà d’un BEP ou équivalent. J’étais un peu un cancre, incapable de me sentir pleinement concerné par les cours. J’ai passé beaucoup de temps d’apprentissage en entreprise à faire des tafs sans trop d’engouement, mais quoi que j’en dise j’y ai appris beaucoup de trucs pratiques et manuels qui m’ont familiarisé avec la matière ou m’ont permis de me sentir à l’aise dans un espace de travail – d’avoir le réflexe de trouver les bons outils et comment les utiliser. Idem pour les gestes de manutention, c’est-à-dire la manière de manipuler les matériaux – bois, pierre, métal – en évitant un maximum de te ruiner la santé. J’ai l’impression qu’à présent je me sens très à l’aise dans mon rapport au faire même si je ne suis pas féru de chantiers ou de bricolage.
Outre la nullité pédagogique à laquelle j’ai souvent eu affaire dans ces formations, ce que je regrette c’est le peu de moyens donnés aux domaines de l’esprit et du sensible. Les programmes et les conditions d’enseignement donnaient peu de moyens aux profs pour développer autre chose que la dimension professionnelle. L’issue de nos formations était d’arriver sur le marché du travail le plus rapidement possible sans trop se poser de questions. Nous n’étions pas formé.es pour nous y épanouir – au mieux, seule la maîtrise de notre discipline valait comme satisfaction. Nous étions des ados et des jeunes adultes perdu·es et nous nous dévalorisions beaucoup. J’avais le sale sentiment d’être en deçà de ceux qui faisait des études supérieurs. L’expérience m’apprit plus tard que l’université ou les grandes écoles ne sont pas non plus des espaces épanouissants malgré le savoir qui y est dispensé.
Habitant·es de territoires en lutte – il faudra toujours tisser des ponts entre les monde,
Parce-qu’il nous faut toujours inventer des ponts, des passerelles entre des mondes, tout en assumant le conflit avec les institutions délétères inféodées au régime de l’économie, nous rejoignons les reprises de savoirs dans une optique de l’extension du domaine du squatt. Si dans Dans nos lieux de vie et de lutte, l’autonomie politique et matérielle se conjugue déjà dans une attention au quotidien et à nos subsistances.
Nous devons continuer de trouver des formes à l’échange de savoirs d’une part et retrouver des formes d’organisations stratégiques qui dépassent et débordent nos milieux affinitaires, d’autre part. Nos milieux sont composés en partie de deserteurices de l’université; depuis les luttes, on a développé des savoirs stratégiques et pratiques que l’on doit garder en mouvement pour les mouvement sociaux.
Il faudra bien inventer autre chose que le modèle de l’Université et des Grandes Écoles…
On vient
Parce que nous faisons tourner au quotidien un système d’enseignement supérieur et de recherche public de plus en plus délabré (sauf les lieux d’ « excellence » et de reproduction sociale), soumis à la mise en concurrence généralisée, et à l’emprise des intérêts capitalistes et des promesses high-tech sur la production de savoirs…
Parce que nous assistons à l’effondrement de la pensée critique, aux attaques contre toute science sociale pointant les dominations de race, classe ou genre, et à la caporalisation gestionnaire de tout le système éducatif et universitaire…
Parce que nous ne parvenons pas assez vite à transformer nos établissements afin qu’ils soient à la hauteur des enjeux écologiques et sociaux auxquels nous faisons face, à la hauteur de ce qui ferait sens dans nos vies et celles des étudiant.e.s…
Parce que vieux d’un millénaire, compagnon des deux derniers siècles d’industrialisme, de colonialisme, de course à la puissance et à la croissance, le système d’enseignement général, technique et agricole, et supérieur et de recherche, est désormais largement prisonnier d’une mégamachine qui détruit les milieux vivants et notre milieu terrestre (on a le nez dans le guidon mais on sent bien qu’il faudrait inventer autre chose!)…
Parce qu’on sait qu’il n’y a pas de savoir de nulle part, pas de choix technique neutre, et que nous voulons rencontrer (à égal pouvoir, égale dignité) les collectifs qui se bougent les fesses pour un autre avenir que celui de la gestion étatico-capitaliste des catastrophes, pour d’autres mondes, pour d’autres liens entre les vivants…
… On vient donc ! On espère partager plein de choses (entre autre des savoirs, des gestes, des attentions) avec celleux qui font vivre des lieux, des luttes et des savoirs !
Des étudiant·es en quête de sens, dans un système universitaire sclérosé
Masterant.e.s, nous nous sommes dirigé.e.s vers l’enseignement supérieur et la recherche en études environnementales avec l’espoir d’y trouver des repères pour s’orienter, et l’envie de partager des outils pour penser et construire des mondes habitables. Ce sont des logiques d’individualisation et de compétition qui nous ont accueilli.e.s, mettant à l’épreuve nos amitiés et renforçant nos doutes et nos peurs. Ce sont aussi des disciplines qui nous ont rappelé à l’ordre d’un paysage épistémique régit par la division du travail et l’hyper-spécialisation, dont le miroir est une écologie ‘hors-sol’, basée sur l’atomisation des réponses et l’individualisation des responsables. Ces constats, et les pertes de sens qu’ils entraînent, rendent nos questions initiales d’autant plus fortes. Comment prendre pour piste d’atterrissage nos attachements, nos dépendances, les tenants et les aboutissants de ce grâce à quoi nous existons et prospérons, pour commencer à imaginer et à mettre en pratique d’autres façons de produire, de partager et de prendre soin, ou plus généralement d’habiter la terre ? Les institutions épistémiques en particulier, de par leur implication dans les déboires extractivistes et coloniaux, et l’infusion des logiques de profit et des intérêts du secteur privé dont elles font preuve, sont en grand besoin d’une réinvention terrestre. Alors que certains cherchent à les réformer « de l’intérieur », souvent avec frustration, d’autres ont choisi de les déserter, convaincus qu’il n’est possible de faire face aux enjeux écologiques qu’en se positionnant à l’extérieur d’elles. Néanmoins, nous nous demandons si construire et diffuser des savoirs terrestres ne demanderait justement pas de réinvestir ce à quoi l’on tient (ici l’enseignement et la recherche) de manière plus écologique et située, et donc en dépassant cette apparente opposition entre intérieur et extérieur. C’est donc avec l’envie de tisser des liens entre l’institution existante et les territoires de vie et les luttes sociales, que nous prenons part aux chantiers-pluriversités, motivés par l’expérimentation qu’ils offrent de pratiques de partage de savoirs écologiques et situées.
Art et environnement, le grand détournement
En tant que chercheuse en écologie politique et artiste, je subis l’effondrement de l’université publique d’un côté, et la précarité de la condition d’artiste-auteur de l’autre, une double brèche dans lesquelles s’engouffrent les institutions culturelles privées et les mécénats industriels ou « philantropiques » de leurs pendantes publiques. Avec elles s’évaporent le peu de structures matérielles de l’imagination qu’il reste du côté institutionnel de la force, au profit de réseaux de pouvoir soutenant de vastes opérations de « green washing » et autres colonisations des réflexions collectives sur des mondes communs encore vivables. Leur reprendre aussi bien les savoirs-faire que les arts, en se liant aux groupes et aux lieux qui construisent déjà, souvent depuis longtemps, des espaces de contre-imaginations, est pour moi indispensable. Car construire, penser et imaginer sont des pratiques qui ne vont jamais les unes sans les autres, et pour lutter, il s’agit de ne leur en laisser aucune.
Universitaire débordé et ne trouvant pas le temps de sortir de l’institution
Je viens de lire votre appel. C’est vachement bien ce que vous faites mais et je suis sous l’eau en ce moment avec mes responsabilités dans mon établissement. Venir une semaine pour partager savoirs théoriques et savoirs pratiques, c’est une riche idée, d’ailleurs j’ai écrit des choses là-dessus et je vous mets mon super article en attachement. Mais cet été j’ai mon livre à finir et mon UMR va être évaluée en septembre par l’HCERES. Est-ce que je peux venir deux jours vite fait au lieu de 7? Est-ce qu’il faut vraiment dormir en tente et faire la vaisselle? En tout cas je soutiens, hein! S’il faut signer une tribune vous pouvez compter sur moi !