2023
Propos recueillis auprès d’un.e participant.e qui a aidé à l’organisation
On est quelques mois après la manif-action de Sainte-Soline du 25 mars 2023. Après ce qu’il s’est passé, tout le monde est traumatisé, que ce soit les orgas comme les participants et participantes. L’idée c’était de dire, on ne peut pas rester là-dessus, il faut qu’on se réinvente, il faut qu’on invente quelque chose, mais que la lutte continue d’une manière ou d’une autre. Donc à partir de là, on a réfléchi, on s’est dit qu’il faut deux éléments.
Le premier, c’était de se mettre en mouvement, de pas rester sur ce lieu-là, de ne pas rester bloqué dans une sorte de confrontation, dans un face à face avec l’État notamment, et avec les forces de l’ordre. Et de montrer que la lutte contre les méga-bassines n’est pas que là où certains chantiers démarrent en ce moment, mais qu’elle interroge déjà tout le cycle de l’eau, donc du bassin de la Loire, et qu’elle interroge plein d’autres territoires où il y a des projets similaires qui peuvent être soit écocidaires, soit qui mettent en danger la ressource en eau. Et pour répondre à ça, on voulait que ce soit quelque chose de joyeux, comme une espèce de voyage commun qu’on ferait tous ensemble en période estivale. Qui sort d’une confrontation et qui montre aussi qu’il y a des territoires sur lesquels des réponses se font par rapport à la thématique de la préservation de la ressource en eau. L’idée, c’était de les mettre en valeur et de tisser des liens avec des groupes sur d’autres territoires, qui étaient déjà préexistants ou qui allaient se créer dans le cadre de ce convoi de l’eau. Parce que des groupes se sont créés localement dans ce contexte. Il y avait aussi une démarche de mettre en avant les responsables, ici par exemple l’Agence de l’eau Loire Bretagne qui est basée à Orléans. Donc en allant directement porter nos recommandations vers cette institution qui est responsable en partie du financement et de la planification des méga-bassines, c’était aussi une espèce de symbole de le faire collectivement. En se mettant en mouvement et en prenant de la force de jour en jour pour arriver devant l’Agence de l’eau, une puissance s’est mise en place au fur à mesure.
Je dis tout ça avec le recul de tout ce qui s’est passé. À la base, on partait vraiment dans l’inconnu parce que ce sont quand même des choses sur lesquelles on avait peu de références. Moi, j’étais par exemple sur tout ce qui était élément de coordination et logistique du cortège. Ce qu’on appelait le cortège, c’est tout ce qui se met en mouvement justement, entre le matin quand on a fini le petit-déj, jusqu’au bivouac le soir quand on arrive, donc tout ce qui se passe sur la route en gros, entre un point A et un point B chaque jour.
Et avec les gens qui organisaient ça aussi, on avait notamment le Larzac en référence mais qui était encore totalement différent. Donc en fait, on se disait : là on n’a pas trop de points de repères sur lesquels s’appuyer. Alors allons-y ! On part totalement à l’aventure, dans l’inconnu, mais allons-y !
On avait cette intuition qu’entre le départ qui se faisait à côté de Sainte-Soline et l’arrivée à Orléans, puis Paris, on allait prendre de la puissance : dans l’organisation, dans les comportements collectifs, dans la force collective, dans les revendications, dans les inspirations qu’on allait voir sur le parcours, dans les discussions avec les gens qui composent le cortège et tout ça. Et cette intuition, elle s’est révélée réelle parce qu’il y a vraiment eu quelque chose qui s’est passé et qui dure encore jusqu’à aujourd’hui.
La preuve avec ce qui va se passer cet été sur la prochaine mobilisation à la mi-juillet. C’est comme une suite de ce convoi de l’eau en fait. Il y a une espèce d’héritage qui va se transmettre, ou en tout cas une continuité dans le mouvement qui va se faire. Parce qu’on va aller vers un hybride manif-action un peu classique, qui se fait depuis quatre ou cinq ans, mais couplé avec de nouveaux convois qui vont se mettre en place depuis plusieurs endroits de la France, voire de certains points européens.
Il y a d’autres convois qui vont partir depuis d’autres bassins versants. L’idée c’est qu’il y ait un truc qui se passe, qui soit hyper organique avec des cours autonomes qui n’arrivent pas très loin de la mobilisation et qui arrivent en même temps. Comme s’ils étaient des affluents d’un fleuve en fait, qui allaient dans l’imaginaire, dans le récit, composer le fleuve, et déboucher sur la manif-action.
On avait peur la veille. En gros pour refaire le point, on était une équipe qui s’était occupée de monter un peu toute l’ infrastructure organisationnelle et matérielle quelques mois en amont. On se voyait régulièrement, puis ensuite en visio puisqu’ on était un peu aux quatre coins de la France.
Les visios se sont intensifiées, on a vraiment préparé quel était le seuil maximum de personnes qu’on pouvait accueillir, comment on s’organisait par rapport à ça. Le lien avec les cantines et le nombre de repas que les cantines étaient capables d’assurer par jour. Tout ce qui est sécurité routière et tout. On a monté une infrastructure qui nous paraît assez cohérente pour la fluidité pendant l’événement.
On s’est retrouvé à toute une équipe, une semaine avant, sur place, au niveau du point de départ où on a monté un camp. On a fini de tout préparer, faire le lien afin que tous les véhicules soient présents, tout le matériel… Et en se disant : de toute façon, il y aura forcément des couacs comme avant n’importe quel événement. Surtout là : c’est le premier événement de cette ampleur qu’on fait.
Mais on savait aussi qu’on pouvait s’appuyer sur des comités locaux qui s’étaient montés à chaque étape sur chaque bivouac. Et du coup, ça a été bon.
Il y a eu quelques couacs sur les deux premières étapes, mais des petits trucs en fait. Et ça a été incroyablement fluide. Parce que les gens qui nous ont rejoint la veille ou au moment du départ et pour l’ensemble de la semaine, ce sont des gens qui avaient envie.
Enfin, cette espèce de mise en mouvement, j’ai l’impression, a donné envie aux gens de participer à ce mouvement et d’être actifs, pas forcément en tant que bénévoles, mais en cherchant à faciliter les tâches de tout le monde. Et en fait, il y a une espèce de fluidité dans l’orga qui a été assez remarquable. Il y a eu une mise en mouvement collective et qui s’est vue aussi au niveau de chacun·e, où tout le monde gagnait un peu en responsabilité individuelle pour que ça marche bien. Sur la tenue des heures de départ, sur le fait que les gens puissent bien dormir le soir au bivouac. Pas faire trop la teuf le soir à partir d’une certaine heure. Sur le fait de bien respecter les règles qu’on avait mis en place sur la route. Quand quelqu’un perçait, il fallait qu’il attende les réparateurs et pas qu’il prenne un vélo dans telle bétaillère…
Enfin bref, il y a eu un truc qui s’est mis en place et qui a fait que ça s’est bien passé, et qui nous a permis de monter en puissance de jour en jour sur ce qui se passait dans le convoi.
Ce convoi a produit une espèce de sentiment de puissance dans les équipes organisatrices, dans ce qu’on avait la capacité de faire, où on pouvait poser des bases pour qu’un grand nombre puisse nous rejoindre.
Parce qu’il y avait ça aussi, dans l’enjeu de se mettre en mouvement. Après Sainte-Soline, il y a eu un retour critique de ce qui s’était passé. Et dans ce retour critique, il y avait notamment, d’un point de vue organisationnel, la capacité de monter en termes d’échelle d’organisation, d’événement et en intensité d’événement. Comment on pouvait faire un saut d’échelles, c’est-à-dire de passer habituellement de 5000-10000 personnes à 30000 à Sainte-Soline, puis à 1000-1500 personnes sur toute une mise en mouvement de plusieurs centaines de kilomètres.
Donc le convoi de l’eau était un peu un test post-Sainte-Soline. Un test qui a été réussi, ce qui nous a permis de prendre confiance dans la capacité d’organiser des gros événements. Et c’est pour ça que le prochain événement, on attend des jauges beaucoup plus fortes que Sainte-Soline 2023. Et aussi une espèce de montée en puissance de la lutte, du point de vue de la capacité organisationnelle, de puissance de communication.
En lien avec la capacité organisationnelle, plusieurs comités locaux un peu partout et liés à la lutte contre les mégas bassines ont émergé. Des comités locaux qui à la base s’étaient montés pour les bivouacs chaque soir, le long du bassin versant de la Loire.
Aujourd’hui, pour l’organisation de l’événement de cet été, on s’appuie vraiment sur ces comités locaux, c’est-à-dire que c’est complètement intégré dans l’organisation. On a une organisation totalement différente par rapport à ça, qui est beaucoup plus régionale, voire nationale parce qu’il y a aussi eu des mises en lien avec des « comités » Bassines Non Merci qui étaient un peu présents partout, là où il y a des projets de méga-bassines notamment. Et donc ça, c’est plutôt d’un point de vue structuration organisationnelle et amplification de l’organisation et de la capacité de mobilisation pour la lutte.
Il y a aussi le récit. Ça joue énormément parce que le récit qui va se passer cet été est très lié avec le convoi de l’eau. C’est-à-dire qu’il y a une grosse demande des participant.es du convoi de l’eau de l’an dernier de refaire des sortes de convois. C’est ce qui va se passer cet été. Il n’y aura pas juste un village statique avec une manif-action le samedi. Il y aura des convois qui viendront un peu de partout.
Ça joue vraiment beaucoup dans le récit, dans l’imaginaire, c’est-à-dire qu’on sent vraiment un empuissantement de la lutte, on se sent plus puissant.
Jusqu’ à maintenant, ces convois-là, ça n’existait pas. Aujourd ’ hui ça devient quelque chose qui marque l’imaginaire et le récit de la lutte dans ce qui arrive. Donc il y a une vraie continuité entre ce qui s’est passé. Et c’est notamment pour ça qu’on a hésité à proposer une nouvelle manif-action, là en début d’année face à l’accélération des chantiers. On a plutôt opté pour quelque chose qui sera pour l’anniversaire de Sainte-Soline, fin mars 2024.
Pour faire ce saut d’échelle, il fallait aussi faire un saut temporel. Donc refaire une grosse mobilisation un an après le convoi de l’eau et pas six mois avant parce qu’on serait épuisé, parce qu’on n’aurait pas eu la capacité de proposer quelque chose d’hyper solide. Et donc ça nous a aussi appris la patience et la capacité de frapper beaucoup plus fort, avec des événements qui seront peut-être moins fréquents, mais qui seront beaucoup plus conséquents. C’est une stratégie qui aurait pu être totalement différente, mais c’est la stratégie qu’on a suivie et qui, je pense est très corrélée avec tout ce qu’ il s’est passé pendant le Convoi de l’Eau.
Il y a cette mise en mouvement et le fait de passer du temps ensemble, parce qu’on a passé une semaine, dix jours ensemble sur la route. Mais pour préparer une semaine, dix jours, on était déjà une semaine avant sur un camp de base dans les Deux-Sèvres. Donc ça a débloqué des choses au niveau de la coordination de la lutte et notamment entre les Soulèvements de la Terre, Bassines Non Merci et la Confédération Paysanne. Et passer tous ces temps-là, cette espèce de voyage ensemble, ça a permis de démêler plein de choses d’un point de vue interpersonnel mais aussi d’inter-organisations. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on est vraiment beaucoup plus solide sur nos appuis quand on va porter des revendications, quand on va proposer de poser des axes sur nos mobilisations.
Ça a vraiment joué sur plein d’échelles, cette mise en mouvement. Et d’un point de vue individuel, je parle de mon point de vue à moi, mais c’est aussi le point de vue de plein de gens que j’ai connus, ces grosses mobilisations ont eu un gros impact performatif et transformatif sur les gens. Parce qu’en fait, tu passes énormément de temps sur le vélo ou dans les tracteurs avec des agriculteurs… Et tu échanges, tu peux vraiment créer une intensité de relation sociale et humaine qui te fait vraiment cogiter. Ce sont des vraies expériences humaines qui transforment en partie, qui font prendre beaucoup plus de conscience politique ou qui te font aller vers des chemins, des questionnements sur tes modes de vie un peu différents. Donc ça a aussi un impact au-delà de la lutte et de tout ce qui se passe sur les méga-bassines ou sur l’eau. Aussi sur les parcours individuels des gens qui participent…
Par exemple, moi en tant qu’orga, je n’étais pas toujours sur le vélo, parfois j’étais dans les vans ou dans les tracteurs. Et juste pour l’exemple concret, je me suis lié d’amitié avec un des agriculteurs, l’un des paysans qui était dans les tracteurs. Je ne le connaissais pas du tout. Ce sont plutôt des paysans qui étaient sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes dans la lutte, et qui sont presque des dissidents de la conf, qui sont un peu des ramifications du Syndicat des Paysans Travailleurs des années 70. Du coup je me suis passionné de discuter avec ce mec parce qu’il avait une énorme expérience de la lutte. Parce qu’il était beaucoup plus vieux que moi et qu’il était dans une sorte de radicalité politique depuis longtemps, autant dans sa pratique individuelle de paysan que dans ses appartenances politiques à certains groupes. Je sais que ça m’a vraiment fait passer un gap dans ma conscience politique d’échanger et de passer beaucoup de temps en tracteur, beaucoup d’heures avec lui.
Il y a plein d’histoires comme ça qui à mon avis se sont passées pendant le Convoi de l’Eau. Des gens qui se sont rencontrés, qui ont discuté. Il y a d’ailleurs plein d’initiatives qui se sont créées, qui sont pas du tout liées aux méga-bassines mais qui se retrouvent dans les luttes. Aujourd’hui, au niveau national, ça a vraiment eu des ramifications fortes.
Je ne pense pas que ce serait arrivé si on s’était pas retrouvé pour se déplacer ensemble vers un point précis. Tu passes énormément de temps avec des gens et le fait d’être en mouvement dans une sorte de voyage, ça fait sortir un peu tout le monde de sa zone de confort social, émotionnel etc. Et en fait, ça a un peu mis tout le monde dans une espèce d’unité, de corps social qui certes est éphémère, mais qui crée vraiment quelque chose. Et après, il y a plein de gens, je les revois. On s’est rencontrés sur le convoi de l’eau, et c’est un peu ce qui identifie notre relation. Je recroise des gens sur des mobilisations sur l’A69 ou quand je repasse à Notre-Dame-des-Landes ou ailleurs. Il y a plein de gens, c’est « Ah mais ta tête me dit un truc ». Et tout ça a créé une espèce d’affinité naturelle. Et de fait, tu n’as pas le temps de le faire si tu fais juste un jour ou une demi-journée sur une mobilisation ou que tu restes avec ton groupe affinitaire et que tu n’en sors pas. Et parce que l’organisation de l’événement est faite pour s’organiser par groupes affinitaires, là ça casse justement ces rapports, ça vient créer d’autres relations interpersonnelles qui nous sortent de nos propres milieux, et qui élargissent nos bases affinitaires, je pense.
Ça donne une temporalité d’action totalement différente. Et je pense au fait qu’on ait décidé de ne pas faire de grosses mobilisations à l’automne 2023 ou à l ’ hiver-printemps 2024, et qu’on prenne le temps d’attendre un an pour reproposer une grosse mobilisation. Parce que depuis le Convoi de l’Eau, il n’y a pas eu de gros trucs. Il y a eu des mobilisations, mais à plus petite échelle. Mais on s’est dit : on va attendre un an pour, à l’été 2024, reproposer un gros truc. C’est peut-être le Convoi de l’Eau et sa temporalité plus lente qui ont joué. Ça a permis de changer la temporalité de la lutte, les priorités etc. Il y a eu aussi d’autres facteurs qui ont joué bien évidemment, mais je pense que ce convoi a beaucoup marqué, que ce soit l’identité ou le récit de la lutte.
Ces dernières années, on était plutôt sur des manif-actions qui commençaient à avoir lieu quasiment tous les trimestres. Et ça n’avait plus beaucoup de sens parce qu’on était bloqués. En fait, ça a permis, en mode aïkido, de faire un pas de côté total. Et ce pas de côté du Convoi de l’Eau : « boum ! », il a fait rentrer la lutte dans autre chose. Pour moi, c’est totalement autre chose. On est plus sur ces calendriers manif-action où on sait que ça va péter avec les Forces de l’Ordre. On sait que ça va être de la confrontation avec le truc iconique qui a eu lieu à Sainte-Soline où là, c’était carrément un fortin devant une bassine, avec un bloc qui était en face. Et on sait ce que ça a donné.
Il y a un objet politique et artistique, une sorte de carte sensible qui à la base était un peu inspirée par ce qu’ À la Criée avait fait sur la ZAD avec la carte subjective, mentale. Bon, le résultat a pas du tout été le même, mais peu importe, le point de départ, c’est de dire : on va bosser avec des artistes du Club de Bridge, qui sont basés entre Poitiers et Berlin. Donc, sur une grande bâche de huit à dix mètres de long, on a posé la carte un peu mentale du trajet, pas basée sur les villes mais sur la Loire. En fait la colonne vertébrale, c’était la Loire et ses affluents. On rajoutait des points sur les différents bivouacs qu’on faisait. Et tous les soirs, il y avait un endroit sur le village, enfin sur le bivouac où on était, où le Club de Bridge animait des ateliers pour que les gens viennent implémenter la carte.
À la base il y avait juste la Loire, le réseau hydrographique du territoire. C’était assez libre, les gens mettaient soit des bulles de verbatim, de discussion un peu fortes que les gens avaient eu dans la journée, soit des dessins de cibles sur lesquels on pouvait poser des actes, soit des dessins d’initiatives, ce que les gens avaient vu pendant le trajet et qu’ils voulaient mettre en avant.
Le but était que cette carte sensible arrive à Paris et que les prises de parole se fassent devant. Que ça devienne une espèce d’objet un peu iconique du Convoi de l’Eau. Et il y a un groupe qui s’est mis en place pendant le convoi, que nous on appelle le groupe Trace, où le but c’est de travailler à partir de cet élément visuel et politique, sur comment le mettre en valeur. Et comment maintenant qu’on l’a, retravailler autour de ça et continuer le travail pendant le Village de l’Eau qui aura lieu en juillet. Je sais que nous, quand on a fait le weekend de debrief, là où on était, il y avait cette œuvre qui était en fond de salle et on a passé beaucoup de temps à la réanalyser, à la relire en fin de journée. Et je sais qu’il y a plein de gens, ça leur a vraiment fait gagner en connaissance du territoire, sur les affluents de la Loire, sur la Loire. Et moi le premier, je connaissais très peu, en fait, toute cette partie-là de la France. Et ça me fait vraiment voir cette zone de la France totalement différente, de par cet objet-là et de par le fait qu’ en vélo, en tracteur, on l’a parcourue. Du coup, ça fait complètement changer le regard sur le territoire. C’est-à-dire que maintenant, par exemple les bords de Loire, j’en ai une vision éprouvée, sensible.
Il y a aussi le côté : qu’est-ce que l’agriculture industrielle ? De quoi les méga-bassines sont au service ? Qu’est-ce qu’ un méga-méthaniseur ? Qu’est-ce qu’ une ferme de mille hectares de blé ? Tout ça, vu que tu les a traversés, tu le vois totalement différemment. Enfin tu le traverses en plein été, t’as trop chaud, y a pas un arbre, y a plus de haies, y a plus rien, y a que du maïs ou du blé avec des gros arroseurs, avec des énormes méthaniseurs, avec des mecs de la FNSEA ou des sortes de boîtes de sécurité privées qui viennent te mettre la pression avec des pickups pour que tu ailles pas prendre des photos devant… Ça marque les esprits quoi.
Et quand tu passes devant des fermes-usines, tu comprends beaucoup mieux pourquoi les gens luttent contre les méga-méthaniseurs, contre les fermes-usines en Bretagne ou ailleurs. Vu que tu as éprouvé tous ces territoires de manière très concrète pendant que tu passais en vélo, en tracteur, donc très lentement, et que tu en discutes avec les gens avec qui t’étais. C’est plus seulement de l’abstraction politique. Tu captes très bien le système, comment il marche, un rapport sensible et matériel. Tu sais de quoi tu parles.