Reprises de savoirs

 — 10·07 / Zadenvies / Atelier – Déserter, bifurquer, s’organiser

10·07 / Zadenvies / Atelier – Déserter, bifurquer, s’organiser

Nous serons à ZadEnvies dimanche 10 juillet de 17h à 19h avec les déserteureuses, défendre.habiter, et les étudiant·es d’agroparis, pour organiser un atelier « Déserter, bifurquer, s’organiser »

Atelier – Déserter, bifurquer, s’organiser – Chantiers pluriversitaires (https://www.reprisesdesavoirs.org/) et écoles autonomes, archipels de luttes et lieux en constructions, paquets de sables depuis les rouages du système…après l’appel des étudiant.es d’Agro-paritech, comment donner corps au mouvement de désertion que suscite notre époque ?

Voir tout le programme ici https://zad.nadir.org/spip.php?article6861

02·03 juillet : Désertion/extractivisme : Rando controverse à vélo

02·03 juillet Désertion/extractivisme : Rando controverse à vélo vers une lutte collective

Bifurcation / rando vélo / Samedi 2 juillet / 14h30 île de NantesManif’action / Saint-Colomban / Dimanche 3 juillet

Pour clôturer l’année avant l’été, continuons les échanges sur les désertions et les bifurcations, lancé par les étudiant·es d’agro avec qui on organise cette randovélo.

Faisons le en mouvement, en vélo, en étapes, et vers une lutte collective : la lutte de la Tête dans le sable à Saint-Colomban contre l’extension de carrières de sable. 

Rendez-vous samedi à 14h 30 sur la pelouse devant l’école d’architecture de Nantes, 6 Quai François Mitterrand.

Pour penser ensemble des chemins de désertion, sortons de la métropole en vélo pour rejoindre une lutte contre l’extraction. Le sable issu des carrières Lafarge de Saint-Colomban sert à la fois à la filière du béton pour la construction et aux cultures de maraîchage industriel hors sol. Cette lutte concerne donc autant des questions urbaines que agricoles. Elle nous interpelle chacune et chacun dans nos propres formes de vie et leur lien avec les facettes cachées de l’extractivisme.

On pourrait dire que cette rando vélo est un mini chantier nomade des Reprises de savoirs !

Au cours de cette rando-vélo, on vous proposera des axes de discussion pour les premières étapes, puis on verra ensemble comment continuer. On sera suivi.e.s d’une voiture pour mettre nos sacs avec notamment les tentes et les duvets. On devrait arriver au lieu dit Le Redour à Saint-Colomban en fin d’après midi / début de soirée, où l’on partagera un repas et on campera. Dimanche matin, nous continuerons la discussion sur les suites possibles après l’été. Puis, nous pourrons rejoindre la journée des Soulèvements de la Terre avec à 11h le village des alternatives, et à 14h la manif’action.

On repartira vers Nantes dimanche à 16h30 pour être de retour vers 18h.

Tout le programme ici :

https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/contre-l-annexion-du-bocage-au-profit-des-carrieres-de-sable

Voici une carte simple pour visualiser départ et arrivée: https://umap.openstreetmap.fr/fr/map/randovelo-bifurcation_781033

Chacun·e est autonome. Prévoyez vélo, eau, tente, duvet, bouffe à partager pour le dîner et le petit déjeuner. N’hésitez pas à inviter vos ami.e.s, votre famille, ou vos collègue.s et à partager ce message autour de vous.  C’est chouette de faire signe si vous venez, écrivez nous à cette adresse, et nous pourrons vous tenir au courant.

Contact :

defendre.habiter@admin

article
https://blogs.mediapart.fr/defendrehabiter/blog/290622/02-03-juillet-desertionextractivisme-rando-controverse-velo-et-manifaction

Le Laboratoire d’imagination insurectionnelle

Qui ? Quoi ? Quand ? Où ?

Jay Jordan et Isabelle Fremeaux (co-fondateur·ice·s), rejoint·e·s par une multitude de personnes se joignant aux diverses expérimentations au gré des mobilisations, thèmes, compétences requises, etc, depuis 2004… au plus longtemps possible !

Le Laboratoire d’imagination insurrectionnelle a vu le jour dans un squat londonien, et depuis a organisé plus une cinquantaine d’expérimentations (terme qu’illes préfèrent à celui de « projet » et surtout à « œuvre », car illes font des propositions sans savoir ce qui émergera), dans une multitude de contextes européens très divers (mouvements sociaux, squats, camps climat, écoles d’art et/ou de théâtre, institutions culturelles, universités, etc). Au cours des années, le Labo a, entre autres, ourdi la désobéissance de masse à vélo pendant le sommet des Nations unies sur le climat à Copenhague (COP15), parcouru le Royaume-Uni pour recruter une armée de clowns rebelles, construit un phare illégal à la place d’une tour de contrôle d’aéroport, lancé une régate de radeaux rebelles pour bloquer une centrale à charbon et refusé d’être censuré par le musée Tate Modern de Londres.

Le Labo tente de multiplier des lisières de toutes sortes. Les possibles émergent dans les espaces d’entre deux, les trans espaces, les mondes non binaires, les haies et lisières enchevêtrées. Certains jours, vous nous trouverez à travailler dans une institution culturelle traditionnelle telle que le Berliner Festspiele, d’autres jours à nous organiser avec des mouvements sociaux radicaux tels que le Camp pour l’Action Climatique. Nous pouvons enseigner au Royal Institute for Theatre, Cinema and Sound à Bruxelles ou former des personnes à la désobéissance avec 350.org pour bloquer un sommet de l’ONU, écrire des livres et des articles pour la presse ou concevoir des rituels de Beltane avec une communauté révolutionnaire.

Il se tient sur la brèche entre l’art et l’activisme à travers des formations et l’organisation d’actions directes, naviguant « entre performance et pédagogie, protestation et poésie ». Pour le Labo, « le rôle de l’art dans le Capitalocène ne peut plus être de montrer le monde aux gens, mais de le transformer ensemble ».

Témoignage

Pourriez-vous nous donner un exemple de la façon dont un art peut transformer une lutte ?

Notre pratique consiste à rassembler artistes et activistes pour créer des synergies entre la créativité, l’imagination, la capacité des artistes à penser tangentiellement et l’audacité et l’engagement des activistes. Même si c’est évidemment une généralisation (et peut être un peu une caricature), bien souvent les artistes ont une vraie capacité à imaginer des manières inédites d’appréhender des problèmes, mais trop souvent illes sont très égo-centré·e·s (l’idée très moderne de l’individu de génie derrière chaque artiste n’aide en rien) et manquent de courage pour s’attaquer à la racine du problème… En parallèle, souvent les activistes ont plus de courage, mais illes ont tendance à toujours répéter les mêmes formes (la manif, le flyer, le blocage,…) Lorsque l’on ouvre des espaces où ces deux groupes peuvent se rencontrer, échanger, collaborer, cela donne souvent des approches originales ET efficaces. En plus, cela aide à dissoudre ces identités (artiste/activiste) dont nous pensons qu’au final elles sont assez inutiles voire délétères car elles sont basées sur une sorte de « division du travail et des compétences » aberrante : les artistes n’ont pas le monopole de la créativité ni les activistes celui de la révolution ! En créant ces synergies, on peut réinventer les codes, prendre les cibles et les autorités par surprise, proposer des formes inédites et préfiguratives (où ce que l’on voudrait voir advenir se trouve dans le geste même de résistance à ce que l’on veut voir disparaitre).  C’est donc pour nous beaucoup plus une question d’attitude et de méthodo que d’utilisation de formes artistiques traditionnelles dans le cadre politique.

Ce que l’on peut retenir pour les chantiers-pluriversité

D’après vos expériences de « chantiers » de créations, d’actions ou de formations, comment parvient-on à passer d’une multitude d’imaginaires isolés à une imagination collective au sein d’un groupe?

Nous commençons la quasi totalité de nos ateliers par un partage d’outils pour prendre les décisions collectivement, par consensus, qui est pour nous une méthode consistant à réellement faire en sorte qu’une intelligence collective puisse émerger, que les contributions de tou·te·s soient entendues et que chacun·e apprenne à identifier ce qui est le plus approprié pour le groupe et la situation. C’est en fait un processus assez joyeux lorsqu’il est sincèrement appliqué. 

Nous proposons aussi beaucoup de moments pour que les participant·e·s à nos ateliers puissent partager des inspirations et des exemples d’actions à la fois imaginatives, poétiques et politiquement efficaces pour que le groupe puisse élaborer un univers commun.  Il s’agit donc d’élaborer une culture de groupe où l’on tente réapprendre à faire ensemble, avec générosité et concentration et de ne pas se laisser piéger par les velléités individualistes. 

Pratiquer une forme d’art nécessite parfois un temps très long, tandis que l’activisme se doit la plupart du temps d’oeuvrer à toute vitesse. Comment parvenez-vous à concilier cette différence de rythmes ?

Trouver cet équilibre est l’un plus grands défis ! Pratiquer un réel art de l’attention, se donner le temps de s’écouter, se comprendre, appréhender finement le contexte dans lequel on se trouve, pour pouvoir faire des propositions qui soient à la fois pertinentes et créatives… tout en répondant à l’urgence est probablement l’exercice le plus difficile pour toutes les personnes qui veulent faire face aux crises qui nous assaillent.  Nous essayons donc de mêler attention et réaction, méticulosité et rapidité, réflexivité et efficacité.

En savoir plus

Le site du Labo (avec plein d’histoires) : https://labo.zone/?lang=en

L’Université de la Terre (CIDECI-UniTierra)

Qui ? Quoi ? Quand ? Où ?

Le Centre Indigène de Formation Intégrale (Centro Indígena de Capacitación Integral) ‘Fray Bartolomé de las Casas’ et l’EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale), à partir des années 1980, jusqu’à présent, à San Cristóbal de las Casas, Chiapas, Mexico. Le CIDECI commença comme une série de centres de formation communautaire situés dans quelques localités rurales éloignées du Chiapas. Puis, ces centres furent ultérieurement rassemblées dans la périphérie de San Cristobal de las Casas et, en 2005, le projet s’installa définitivement dans son emplacement actuel : une parcelle d’environ 20 hectares dans un quartier semi-rural de la ville où des bâtiments bas en terre, des potagers et des sentiers de pierres furent érigés par leurs usagers au fil des années. Au moins depuis 1994, avec le soulèvement zapatiste et le chemin de l’autonomie et la résistance ouverte par le mouvement, le CIDECI se présente comme un projet pour accompagner la construction de l’autodétermination et de la démocratie radicale. Aujourd’hui, il est aussi connu comme l’Université de la Terre (CIDECI-UniTierra) : à savoir, un point de convergence entre des ateliers de métiers pour renforcer la subsistance des communautés autochtones et des lectures, des rencontres, des analyses et des discussions interculturelles sur l’histoire et le présent du Chiapas, les mouvements sociaux ailleurs et l’ouvre critique de penseuses et penseurs comme Vandana Shiva, Immanuel Wallerstein et Ivan Illich. En 2019, l’affinité, le soutien réciproque et le rapprochement progressif à l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) transformèrent le CIDECI-UniTierra en l’un des caracoles zapatistes, c’est à dire l’un des sièges des Conseils de Bon Gouvernement, les organes de gouvernement autonome de l’EZLN. 

Le CIDECI-UniTierra est placé aux marges de San Cristóbal de las Casas, au pied des montagnes. Les bâtiments sont bien soignés et entretenus, très humbles et colorés, avec beaucoup de peintures murales. Il y a des fleurs et de la verdure partout et des sentiers en petites pierres blanches qui se dressaient en plusieurs directions. Une cantine, une petite maison-bureau dédiée à l’administration-coordination du lieu, plusieurs baraques de diverses tailles pour héberger les ateliers de formation, quelques dortoirs, une chapelle, des poulaillers, des terrasses agricoles, un étang, une bibliothèque-salle de séminaires, des dépôts d’archives et un grand auditorium donnent forme à un centre de formation qu’avec ses puits d’eau, ses panneaux solaires et son système de traitement d’effluents opère en autonomie, sans dépendre des infrastructures et les services publics de l’État.  

Apprentissage pour la subsistance

Le cœur du CIDECI-UniTierra se trouve dans plus de 20 ateliers de formation qui sont situés dans les divers bâtiments du centre. Ce sont des ateliers de métiers qu’on pourrait regrouper en cinq catégories principales : 

– la ferme intégrée : l’agriculture, l’élevage à petite échelle, la sylviculture, la pisciculture, la floriculture et la production de champignons

– les ateliers techniques : la charpenterie, le forgeage, l’électricité, l’électronique-radio, la mécanique automobile, la maçonnerie, la fabrication de chasseurs et d’instruments musicaux 

– les ateliers artisanaux :  la poterie, le tissage de fils et de tissus, la coupe et la couture, la sérigraphie, le graphisme et la peinture

– le module d’alimentation et de santé : la cuisine, la boulangerie, le traitement du maïs et l’élaboration de tortillas, mais aussi l’herboristerie, l’odontologie et l’infirmerie

– le secteur d’hébergement et de services :  l’apprentissage de l’informatique, la musique, la mécanographie et l’atelier d’alphabétisation. 

Les échanges interculturels et la réflexion critique

Tous et toutes les cursantes « internes » (c’est-à-dire qui habitent sur place) suivent un séminaire hebdomadaire de discussion et d’analyse collective sur la situation passée et présente du Chiapas, et sur les luttes et les mouvements du Mexique et le reste du monde. Le débat intégral sur l’actualité est mené en espagnol (la langue commune qui permet les échanges interculturels), mais avec des traductions et des comptes rendus en tzeltaltsotsil ou d’autres langues de la région. D’un côté, l’idée n’est pas d’apporter des « solutions » à des « problèmes », mais simplement d’apprendre ensemble des expériences diverses de résistance ; de l’autre, il s’agit d’un renforcement collectif du sens de communauté : ce sont ces discussions, avec la mise en perspective du pari politique du CIDECI-UniTierra orienté vers l’autonomie communautaire (mais sans tomber dans des mécanismes d’endoctrinement idéologique), qui permettent aux participants de mettre en valeur le travail coopératif et du tissage du commun. Parallèlement, il y a aussi des cercles de lecture ouverts à ceux et celles intéressés autour de l’œuvre intellectuelle de certains auteurs critiques comme Ivan Illich ou Immanuel Wallerstein. Et occasionnellement il y a aussi des cycles de conférences avec des invité.e.s et des grandes rencontres ou des festivals publics souvent organisés par l’EZLN. 

L’entre-subsistance, les alliances de solidarité et l’art d’habiter

Le CIDECI-UniTierra est partiellement financé par des appuis solidaires nationaux et internationaux (surtout en ce qui concerne l’attribution de ressources pour les microprojets des cursantes qui se sont formés sur place). La maintenance de l’espace est garantie par les mêmes participants : elles et ils s’organisent une fois par semaine pour entretenir collectivement le lieu et les produits issus de leurs pratiques dans les divers ateliers sont fréquemment réutilisés en interne – les légumes cultivés et le pain cuit sont mobilisés pour la cantine, les meubles de l’atelier de charpenterie placés dans la bibliothèque, et les tissus des pratiques de coupe et coudre transformées en des rideaux pour la salle de séminaires, par exemple. La variété des formations devient donc une contribution fondamentale à la construction de leur autonomie. Par ailleurs, même si les cursantes ne dépensent rien pour se former et vivre sur place (le CIDECI-UniTierra est radicalement non-payant) parfois certain.e.s amènent de manière volontaire des contributions de leurs villages, habituellement des fruits ou des récoltes saisonnières comme le maïs ou les haricots. Ces apports sont ultérieurement mis à disposition pour l’usage collectif à travers de la cuisine qui fonctionne à son tour avec des responsabilités partagées et rotatives. 

Ce qu’on peut retenir pour les chantiers-pluriversité

Communauté ouverte d’apprentissage anticolonial : L’accès est ouvert à tous ceux et toutes celles qui veulent apprendre, sans différenciation d’âge ou de génère, sans aucun examen d’admission et aucune exigence préalable de diplôme ou de justificatif du niveau d’études, mais la priorité est donnée aux personnes provenant des communautés autochtones de la région. Le nombre des participants est très variable : de 60 habitants dans les époques de fêtes ou des saisons agricoles, jusqu’a 250, 400, même 900 par année dans certains cas. Pour s’inscrire, il suffit de présenter un certificat de naissance ou un autre type de pièce d’identité et une lettre d’appui/recommandation issue de l’assemblé communautaire. Ces critères ne sont pas pour autant des critères formels et rigides : la participation de chacun, chacune est traitée cas par cas, face à face, avec l’accompagnement proche de la coordination. Comme il y a une proximité explicite avec le mouvement zapatiste, beaucoup des personnes qui arrivent au CIDECI-UniTierra viennent des communautés zapatistes, mais il y’en a aussi d’autres communautés non zapatistes ou même des quartiers périphériques de San Cristobal. Certain.e.s habitent sur place et d’autres passent seulement la journée pour suivre les ateliers. Il n’y a pas de durée établie, elles ou ils peuvent rester un mois, six mois, un an, quatre ans, partir et revenir autant de fois et quand elles ou ils veulent. Les personnes arrivent pour se former dans un ou plusieurs domaines spécifiques et partent quand elles en ont besoin ou quand elles estiment pertinent.

Non-hiérarchique : au CIDECI-UniTierra il ne s’agit pas d’enseignants qui transmettent des contenus a des élèves : les capacitadores (formateurs, facilitateurs) partagent leur expérience dans tel ou tel domaine d’une façon à la fois libre et personnalisée et les cursantes (apprentis, stagiaires) apprennent à partir d’un système d’entraide (celles ou ceux qui ont déjà acquis un peu plus d’expertise aident leurs compagnons à avancer). Dans plusieurs cas, les capacitadores sont en fait des anciens cursantes qui sont restés au CIDECI-UniTierra pour partager leurs savoir-faire. C’est non-hiérarchique aussi dans le sens qu’il n’y a pas une corrélation âge-niveau : le même atelier peut être suivi simultanément par des enfants de 12 ans et des personnes âgées.  

Aprofessionel : il ne s’agit pas non plus de la professionnalisation certifiée pour entrer dans le marché du travail, mais plutôt de l’apprentissage continu des métiers qui permettent aux gens de lancer leurs propres projets et garantir leur subsistance : en lieu de diplômes ou de certificats de scolarité, le centre ouvre un espace de formation où chacun.e peut décider quand elle ou il a acquis ce qu’elle ou il venait chercher ; et quand les gens rentrent dans leurs communautés d’origine, le CIDECI-UniTierra essaie de fournir les outils, les matériaux et les ressources minimales pour qu’elles ou ils puissent commencer leur microentreprise et partager à d’autres personnes leur expérience. 

Adisciplinaire : il n’y a pas de spécialisation exclusive par des parcours prédéfinis et il n’y a pas de mécanismes de contrôle pour évaluer les « connaissances » apprises. Les gens suivent les ateliers qui les convenaient le mieux (en général un ou deux, parfois trois, mais pour des contraintes de temps non pas plus) et peuvent changer à volonté. Si quelqu’un ou quelqu’une veut apprendre quelque chose qui n’est pas encore compris dans l’offre du centre, la coordination du CIDECI-UniTierra cherche les personnes propices et les moyens pour ouvrir le nouvel atelier. Adisciplinaire également parce qu’il n’y a pas d’examens pour évaluer les connaissances des cursantes ou d’autres mécanismes de pointage compétitif ou de supervision pour distinguer ceux-qui-savent de ceux-qui-ne-savent-pas. D’ordinaire il y a trois niveaux d’expertise par atelier, mais le passage d’un niveau au suivant est fait plutôt à partir d’exercices pratiques et des travaux de qualité, lorsque la ou le cursante sent que c’est le moment d’avancer. 

Asalarial : même si les capacitadores reçoivent une contribution monétaire pour leur travail, l’échange n’est pas conçu comme une relation de dépendance employé-employeur basée sur un contrat de recrutement potentiellement remplaçable, mais plutôt comme un lien de solidarité réciproque avec des participants engagés dans le projet pédagogique et politique. 

En savoir plus

Site web des séminaires de l’Université de la Terre : https://seminarioscideci.org/

Site YouTube des séminaires : https://www.youtube.com/channel/UCe-fnodJyn0CTfv2wfItJaQ

Entretien avec le coordinateur du centre (2005 ; anglais/espagnol) : https://inmotionmagazine.com/global/rsb_int_eng.html

Charte de l’organisation (2010 ; espagnol) : https://inmotionmagazine.com/global/global_pdfs/SIIDAE_5.pdf

Témoignages/récits extérieurs :

https://www.linternationaledessavoirspourtous.org/2019/02/a-propos-de-luniversite-de-la-terre-et.html

https://enlivenedlearning.com/2013/01/16/visiting-another-unitierra-in-san-cristobal-chiapas/

https://silviadistopia.wordpress.com/2015/03/05/autonomia-y-aprendizaje-en-cideci-unitierra/

– Déclaration de l’EZLN sur la création du caracol Jacinto Canek : https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2019/08/28/communique-du-ccri-cg-de-lezln-et-nous-avons-brise-lencerclement/

Premier Congrès Indigène du Chiapas : 

http://coreco.org.mx/wordpress/coreco-comision-de-apoyo-a-la-unidad-y-reconciliacion-comunitaria/congreso-indigena/

https://medioslibreschiapas.espora.org/?p=7792

Ne charretons plus pour un monde délétère


Il y a un plus d’un an sortait une tribune qui invitait à mettre un pied dans les luttes pour repolitiser les études autours de l’architecture et des territoires. Elle fait écho à la récentre prise de parole des étudiant·es d’agro paris tech… Cette tribune à initialement été publiée sur topophile.net et reporterre.net en mars 2021


Ne charrettons plus pour un monde délétère !

Plusieurs médias nationaux (1) ont publié ces derniers mois différents articles sur la culture de la charrette, les abus, pressions dans les écoles et la désillusion des jeunes professionnels. Les faits relatés ne sont pas nouveaux. Il nous a semblé que les symptômes mis en lumière sont ceux d’un malaise bien plus profond, sur le sens et le rôle politique de celles et ceux qui conçoivent et construisent les territoires dans une société qui continue de dérouler un projet destructeur du vivant. Les luttes nécessaires face à cette destruction nous paraissent dessiner des lignes bien plus désirables.

Les faits relatés ne sont pas nouveaux. « La charrette », on doit cette expression au XIXe siècle, à l’époque où l’architecture était intégrée aux Beaux-Arts durant laquelle de véritables charrettes transportaient en urgence les panneaux de rendus des étudiants aux salles d’examens. Le mythe veut que les étudiants travaillaient jusqu’au dernier moment sur leur rendu de projet à présenter au jury : « être charrette », c’est cette manière de travailler dans l’urgence et le stress, parfois la nuit, pour rendre des projets. Cette forme d’organisation est toujours présente dans le champ professionnel, conséquence du système de commande mais également des modes d’organisation au sein des agences.

Diplômé pour aménager le désastre ?

Il nous a semblé pourtant que les symptômes mis en lumière dans ces articles révèlent un malaise plus profond, lié au sens et au rôle politique que seront amenés à tenir celles et ceux qui conçoivent et construisent les territoires aujourd’hui. Car ils devront intervenir dans une société qui continue de dérouler un projet destructeur du vivant.

Les titres de presse cités sont autant de lignes de tristesse face à la réalité actuelle de l’architecture. Que ce soit la logique de métropolisation qui exploite des territoires de plus en plus lointains tout en maltraitant une partie de sa population en détruisant des lieux de vie, et des lieux de natures et de sociabilité ; que ce soit la logique d’extraction de ressources et de participation au rejet de CO2 dans l’atmosphère (2) (avec la construction intensive dans le cadre de grands projets, en Île-de-France par exemple) ; ou que ce soit les processus de décision et de financement qui, malgré tout un tas d’habiles artifices participatifs, continuent d’augmenter les inégalités (dans le cadre des grands projets métropolitains tel que ceux cités précédemment, qui déplacent dans des processus de gentrification classiques les populations les plus précaires à la marge des zones riches en services et bien desservies). Pour une large part, l’architecture et l’aménagement des territoires sont au service d’un marché néolibéral qui s’entête à épuiser le(s) vivant(s).

Ainsi les écoles d’architecture, d’urbanisme et de sciences politiques, de plus en plus imprégnées de telles logiques, tendent à constituer l’antichambre technique de ce marché. Quand elles investissent les questions écologiques, c’est trop souvent pour déployer un imaginaire cynique de la « transition » ou de la ville « durable » inscrit dans les logiques du « développement », qui prolonge la manière de gérer le désastre sans engager la nécessaire sobriété et résilience Les exemples de projets titanesques tels ceux du Grand Paris ou des JO 2024 illustrent des modèles et imaginaires urbains hors d’échelles, fondé sur l’urbanisation intensive et l’innovation technologique que certains enseignements déploient.

Dans un même mouvement, l’affaiblissement du processus de critique interne à la discipline et la dépolitisation des pratiques au profit d’une approche principalement technique et opérationnelle sont constitutifs de cette transformation des écoles.

Il est ainsi de plus en plus difficile au sortir des écoles de se positionner en praticien·ne·s engagé·e·s ancré·e·s dans la réalité des problématiques auxquelles nous devons faire face si l’on prend au sérieux les questions écologiques et sociales.

Mais, même les diplomé·e·s ayant développé une approche critique pendant leurs études devront se conformer, dès leur entrée dans le monde du travail, au BIM (Building Information Modeling) et à la smartcity. Outils de conception et matrices de pensée du développement métropolitain, moteur du capitalisme vert. Ces outils avalisent l’idée que l’écologie du futur va dépendre du nombre de capteurs que l’on sera capable de positionner dans les villes, et engagent de fait une société de surveillance qui ne remet aucunement en question son modèle de croissance de d’extraction.

Face à ces perspectives tristes et délétères, plutôt que de se demander « Comment mieux construire ? », nous préférons nous mettre au travail autour de la question : « Quelle culture voulons-nous nourrir ? » (3)

On ne protège pas le vivant sans être vivant soi-même

Une culture soumise à des rapports de domination, des pressions politiques, des lobbies et un système patriarcal ne peut contribuer à un monde écologique et empathique. En opposition à celle-ci, nous retrouvons des lignes des joies quand nous sommes capables de nourrir collectivement une culture sensible des amitiés, du commun et du vivant.

Pour cela, en tant qu’étudiant·e·s, professionnel·le·s, enseignant·e·s et habitant·e·s, nous devons oser dire « non ». Trop de charrettes, trop de projets construits trop vite, trop de compromis, trop de lobbies, trop de béton… Nous devons oser dire : « Je ne participerai pas à cela », et passer à l’acte en cultivant d’autres manières de concevoir et de construire, en inventant d’autres modèles et en occupant le terrain politique.

Nos professions sont submergées par une accumulation de réglementations, de normes, de certifications et autres labels. Ce cadre ultra-contraignant, centré sur la technique et la sécurité, empêche la créativité, l’autonomie, ainsi que le déploiement d’une réflexion sur leurs sous-jacentes politiques.

Il ne tient qu’à nous d’interroger, de détourner et de sortir du cadre pour défendre ce qui nous semble juste : privilégier les lieux et leur singularité, expérimenter les savoir-faire locaux, prendre le temps de concevoir et de questionner l’acte de bâtir. Questionner, désobéir, résister, défendre, et ainsi initier les ruptures nécessaires.

Penser le politique dans la vie, cesser d’en faire un champ séparé

L’architecture peut faire naître de multiples alternatives constructives et sociales. Mais pour ne pas se laisser instrumentaliser par les stratégies de « washing » en tout genre, il faut ancrer ces alternatives dans des formes et pratiques de résistances toujours en mouvement qui tiennent des lignes de front, notamment : prôner la vie avant l’économie !

Justement, certaines expériences vécues par nombre d’entre nous ont transformé le sens que l’on donne à nos métiers : ZAD, Ateliers populaires d’urbanisme, Extinction Rébellion, désobéissance civile, blocages, squats, friches, camps climat, collectifs de résistance citoyenne…

Prendre une demi-journée pour appuyer juridiquement l’ouverture de squats dans des territoires où les logements vacants dépassent souvent les 10 %. Dessiner et tailler des charpentes pour installer des maisons du peuple en lieu et place de grands projets inutiles. Participer à des actions de blocage d’entreprises qui intoxiquent le monde. Prendre part à des actions de reprises de terres pour soutenir une agriculture paysanne. S’engager dans le quotidien d’un territoire pour développer avec ses habitant·e·s une culture de la résistance face à la métropolisation. Défendre un jardin partagé. Cuisiner pour une cantine populaire… Ces prises de position et actions font exister des formes offensives indispensables pour enrayer ce régime de destruction. Elles nous consolident en tant que force sociale et puissance politique multiple, autonome des institutions technocratiques qui entretiennent les dynamiques toxiques en cours.

Ces actions nous encouragent à penser le politique dans la vie, à cesser d’en faire un champ autonome, séparé, dont il est tellement facile de s’isoler.

En architecture comme ailleurs, chacune de ces expériences de solidarité et de lutte, hors des relations marchandes, dont on ne saurait faire de liste exhaustive, transforment la manière dont nous pouvons nous engager dans nos vies et nos métiers.

L’année écoulée a éclairé crûment les inégalités existantes et la gestion autoritaire en germe. Malgré l’impuissance dans laquelle elle nous enserre, elle nous a aussi donné la force de nous engager dans les chemins de solidarité et de sobriété. Pour celle qui vient, sachons nous organiser pour affirmer notre détermination et bifurquer radicalement.

C’est depuis ces expériences conflictuelles, ces écoles du réel et des quotidiens habités, que nous trouvons l’énergie et le sens de matérialiser des architectures et des lieux de savoirs qui nourrissent une culture des communs respectueuse du vivant !


1) Entre autres, Libération : « École d’architecture : un régime basé sur la terreur, le harcèlement et l’intimidation » ; Les Échos Start : « Étudiants en architecture, ils (se) construisent dans la douleur  » ; Le Monde : « En école d’architecture, les dérives de la culture charrette », « Onnous a vendu un rêve : de l’école à l’agence, les désillusions des jeunes architectes »…

(2) Pour rappel, l’industrie du bâtiment représente 39 % des émissions de CO2 mondiales, dont 8 % pour le béton.

(3) Nous empruntons l’expression à Isabelle Frémeaux et John Jordan, qui ont engagé cet été un débat sur les partenariats toxiques avec des entreprises qui cherchent à maintenir l’acceptabilité sociale de leurs pratiques délétères.


Cette tribune est co-publiée par Reporterre et Topophile.

Plus de 80 personnes de tous horizons l’ont signée à ce jour : architectes, enseignant·e·s, anthropologues, chercheurs & chercheuses en sciences humaines qui travaillent sur les questions de territoires et des luttes. Elles et ils s’associent à la tribune tant sur le plan social que climatique.

Lea Hobson, architecte et activiste | Étienne Delprat, architecte et enseignant | Tibo, architecte et activiste, Notre-Dame-des-Landes | Julien B., associatif, Nantes | Julien Dupont, architecte, artisan, enseignant, Nantes | Isabelle Lesquer, militante associative, Nantes | Florian Perennes, étudiant ENSA, Nantes | Grégoire Bignier, enseignant ENSA Paris Val-de-Seine | Frédéric Denise, architecte objecteur de croissance, Paris | Sibylle d’Orgeval, réalisatrice, Paris | Benoit Rougelot, architecture du vivant, Paris | Vincent Rigassi, architecte et enseignant ENSA Grenoble | Cyrille Hanappe, architecte, enseignant-chercheur ENSA Paris Belleville| Maarten Gielen, coopérant de Rotor DC, Bruxelles | Jean-louis Tornatore, anthropologue, professeur à l’Université de Bourgogne, Dijon | Jean-Baptiste Comby, sociologue, maître de conférences, Nantes | Stéphane Lavignotte, militant écologiste et pasteur, Seine-Saint-Denis | Germain Meulemans, chercheur postdoctorant au laboratoire Pacte, Cité des territoires, Grenoble | Paul Chantereau, architecte et écrivain, Auvergne | Marie Menant, architecte, enseignante, doctorante | Jean Harari, architecte, Île-de-France | Pierre Couturier, maître de conférences en géographie, Université de Clermont, Auvergne | Léa Longeot, association Didattica, Île-de-France | Juliette Duchange, paysagiste, Drôme | Damien Najean, architecte, Puy-de-Dôme | Sylvain Adam, architecte, association APPUII, Île-de-France | Bernarth Godbille, maître de conférence ENSA Lille | Jean-Baptiste Bahers, chercheur CNRS en aménagement du territoire, Nantes | Paul Léo Figerou, étudiant des Beaux-Arts, Marseille | Revue Topophile, l’ami·e des lieux, la revue des espaces heureux, Paris | Alessandro Pignocchi, auteur de B.D., Bois-le-Roi | Jonathan Goffé, ingénieur, docteur, Paris | Ivan Fouquet, architecte, Paris | Tiffany Timsiline, architecte, Côtes-d’Armor | Sabine Guth, architecte, ENSA Nantes, Paris | Catherine Clarisse, architecte et maîtresse de conférence ENSAPM, Paris | Yvann Pluskwa, architecte, Marseille | Mathias Rollot, auteur et maître de conférences en architecture, biorégion rhénane | Antoine Lagneau, chercheur-associé au LIR3S – Université de Bourgogne | Elissa Giraudet, architecte et coordinatrice écoconstruction, Loire Atlantique | Antoine Lagneau, chercheur-associé au LIR3S – Université de Bourgogne | Hugo Dubois, étudiant (ENSA Nantes) | Antoine Kilian, architecte et enseignant-chercheur, Marseille | Stéphane Herpin, architecte sans frontières, Marseille | Baptiste Furic, architecte, Puy de Dôme | Quentin Mateus, ingénieur low tech, Concarneau | Coline Scoarnec, architecte, Marseille. | Marwan Filali, architecte, Marseille | Merril Sinéus, architecte urbaniste, enseignante et membre fondatrice du réseau scientifique thématique « SUD-Pratiques et Pédagogies Coopératives » | Dorothée Guéneau, architecte urbaniste, Nouvelle Aquitaine | Nicolas Gautron, enseignant ENSart Limoges | Florent Chiaperro, architecte et chercheur | Philippe Eustachon, comédien-metteur en scène, Paris | Ariane Cohin, architecte et auto-constructrice, Île-de-France | Ester Pineau, architecte, Nantes, Paris | Paul Chaufour, militant associatif, la Récolte urbaine, Montreuil | Emmanuel Cappellin, réalisateur, Saillans | Armelle Breuil, architecte et activisite Extinction rébellion, Oslo, Norvège | Marion Delplancke, metteuse en scène, Paris | Marie Durand, architecte, enseignante ENSA Marseille | Perrine Philippe, architecte, Seine-Saint-Denis | Grégoire Barraud, architecte, Nantes | Claire, Damien, Mélia, Pascaline, Véronique, Violaine, architectes et paysagistes, les Saprophytes, Nord | Yvan Detraz, architecte, Bruit du frigo, Bordeaux | Claire Mélot, architecte et doctorante en philosophie, Berlin | Jeanne Rivière, architecte, Paris | Didier Gueston, architecte, Paris | Maud Lévy & Antoine Vercoutère, architectes, Paris | Paul-Emmanuel Loiret, architecte, enseignant-chercheur ENSA Versailles | École 0, collectif pluridisciplinaire, Maine-et-Loire | Marielle Maçé, directrice de recherches au CNRS, spécialiste de théorie littéraire | Sébastien Eymard, architecte, Encore heureux, Paris | Baptiste Morizot, philosophe, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille | Joséphine Germain, architecte, Paris | Guillaume Nicolas, architecte, enseignant, Montreuil, Rouen | Sara Carlini, architecte urbaniste, enseignante, doctorante | Bénédicte Mallier, architecte | Emmanuelle Guyard, concierge designeure, Cunlhat, Puy-du-Dôme | Alice Leloup, paysagiste et architecte, Concarneau | Guillaume Quemper, paysagiste, Île-de-France | Romain Minod, architecte, Île-de-France | Collectif Etc, architectes, constructeurs, Marseille, Drôme | Lucile et Sabine, designers alternatives urbaines, collectif ÇAVAPU, Paris | Sabine Thuilier, architecte, enseignante ENSA Clermont-Ferrans | Alia Bengana, architecte, enseignante | Céline Tcherkassky, architecte, Saint-Denis

Les écoles libertaires de la guerre d’Espagne 2. Mujeres libres

Qui ? Quoi ? Quand ? Où ?

Les écoles libertaires de la guerre d’Espagne s’inscrivent dans un mouvement massif et durable d’éducation populaire, conduit par les militants anarchistes depuis la seconde moitié du 19e siècle, depuis les quartiers populaires et ouvriers jusqu’aux campagnes. Ce mouvement a transformé en profondeur tout une partie de la société espagnole sur des décennies, en permettant de politiser et de souder les collectifs, mais aussi de développer des méthodes de pédagogie et des capacités organisationnelles extraordinaires. Poursuivi tant bien que mal malgré l’Eglise et la répression militaire, ce mouvement a culminé avec la révolution de 1936 puis s’est maintenu tant bien que mal pendant la guerre civile, avant d’être écrasé en 1939 avec le début de la dictature de Franco. Pour simplifier, on peut distinguer trois grands courants de ce mouvement : les écoles rationalistes à destination des enfants (cf. fiche Écoles libertaires 1), les athénées à destination des classes laborieuses, et le groupe féministe des Mujeres libres (Femmes libres).

Apparus en Espagne au 19e siècle, les athénées furent appropriés dans un second temps par les syndicats anarchistes (CNT, FAI) pour devenir des lieux culturels à destination des classes laborieuses (alphabétisation, lecture, discussions politiques, théâtre, éducation sportive et sexuelle, excursions…). Mixtes en principe, ils ont dans les faits négligé les femmes, dont la condition n’était pas considérée. Les Mujeres libres sont nées d’une double nécessité d’éduquer et de politiser les femmes – et surtout de les « encapaciter » comme on le verra – face à une société violemment patriarcale et dans un mouvement anarchiste majoritairement machiste.

Puissant mouvement d’éducation féministe, tardivement formé et relativement éphémère en comparaison des athénées et des écoles rationalistes, le groupe des Mujeres libres a vu le jour en 1936 sous l’impulsion de trois femmes : Lucia Sanchez Saornil (1895-1970), Mercedes Comaposada Guillén (1901-1994) et Amparo Poch i Gascon (1902-1968). Il s’est d’abord constitué autour de leur revue Mujeres libres, dont il a pris le nom, dans laquelle de nombreuses anarchistes féministes se sont exprimées – dont Emma Goldman, américaine d’origine russe. Portant des revendications féministes radicales (bien que non homogènes), cette revue a largement contribué à documenter et à critiquer la condition des femmes, à remettre en question le patriarcat ou le mariage en plus du capitalisme, de l’église et de l’armée. Au fil de ses 13 numéros, elle a façonné l’image de femmes émancipées, à la fois soudées et autonomes, devant sortir de leur condition de mère-épouse assignées au foyer sous l’autorité des hommes, même au sein des syndicats anarchistes.

Mais Murejes libres fut avant tout un très large mouvement d’éducation, de formation et d’organisation à destination des femmes (20000 ou 30000 affiliées selon les chiffres, et bien plus encore de femmes concernées), en particulier des classes ouvrières et paysannes. Il s’étendit des quartiers et usines des grandes villes – Barcelone puis Valence et Madrid – jusque dans les villages et les campagnes. L’objectif était d’encapaciter (encapacitar) les femmes, c’est-à-dire de leur donner toutes les compétences dans chacun des domaines de la vie pour s’émanciper des dominations, par un apprentissage aussi complet que possible, aussi bien théorique que pratique. L’instruction élémentaire (alphabétisation, langues étrangères, littérature, mathématiques, etc.) se mêlait à la formation intellectuelle favorisant autant la culture générale que la réflexivité dans des domaines tels que la politique, l’histoire sociale, l’économie, le droit ou l’éducation physique et sexuelle. Quant à l’« apprentissage par la pratique », c’est sans doute l’une des plus grandes réalisations des Mujeres libres : les femmes avaient accès à des formations d’infirmières ou de chauffeuses, aussi bien qu’à des formations en textile et couture, en mécanique, en électricité ou en métallurgie. Le mouvement fut également à l’initiative de la création de fermes pédagogiques et expérimentales pour apprendre aux femmes l’agriculture et l’élevage. Pour être adaptées à toutes les femmes des villes et des campagnes, ces formations se déclinaient en cours du soir aussi bien qu’en apprentissages continus.

À ces compétences théoriques et pratiques il faut ajouter la très grande place accordée aux méthodes d’organisation. Horizontaux, autonomes et majoritairement autoformés, les groupes de femmes des villes, quartiers ou villages étaient subdivisés en sections de travail, et les femmes étaient invitées à monter elles-mêmes des groupes, les formées devenant formatrices. Cette organisation a fait que les Mujeres libres ont pu, à mesure que la guerre civile empirait, réagir et s’organiser en conséquence, récupérant de nombreuses fonctions jusque-là surtout dévolues aux hommes. On vit par exemple la première conductrice de tramway officier à Barcelone, ce qui fut considéré comme une victoire. Cependant à mesure que la guerre civile se poursuivait et que le mouvement révolutionnaire se transformait, en un sens, en un effort de guerre, les groupes de militantes ont souffert d’une répression féroce et croissante. De nombreuses sections furent dissoutes. Il faut ajouter à cela des conflits permanents au sein même du courant anarchiste, les syndicats et la plupart des hommes accusant les groupes féministes de désunir le mouvement (Mujeres libres ne fut pas reconnu par la CNT, et ne fut que tardivement soutenu par la FAI). L’arrivée de la dictature en 1939 terrassa les Mujeres libres, dont certaines des figures s’efforcèrent de maintenir l’existence précaire depuis leur lieu d’exil (France, Angleterre, etc.).

Bien qu’ayant été un mouvement féministe puissant, radical et novateur, Mujeres libres a connu de sérieuses limites à son action et à son influence. En plus de la répression et des conflits internes, certains de ses combats fondamentaux ont même échoué. Par exemple, l’effort déployé pour l’éducation sexuelle et les appels à la liberté amoureuse lancés dans la revue ne se sont pas réalisés pour les femmes, qui continuaient à être contrôlées et dominées par des hommes, y compris dans les syndicats (alors même que les hommes ont profité d’une liberté sexuelle certaine). Mujeres libres n’en fut pas moins un mouvement profondément original, par son caractère féministe prolétarien (par différence avec le féminisme des élites bourgeoises), qui marqua profondément ses militantes. La politologue Martha Ackelsberg, qui a rencontré certaines de ces femmes, commente : « La joie de vivre et le sentiment d’accomplissement qu’elles ressentaient étaient palpables, alors même qu’elles décrivaient ces activités cinquante ans plus tard ».

Ce que l’on peut retenir pour les chantiers-pluriversité

Le mouvement anarchiste en Espagne fut en un sens un vaste mouvement d’éducation populaire et politique. La lente imprégnation par les idées anarchistes, sur des décennies et dans les villes comme dans les campagnes, a permis à une partie du peuple espagnol de résister à l’autorité de l’Eglise, de l’Etat et des militaires, a préparé la révolution de 1936 et a rendu possibles les changements sociaux – éphémères mais radicaux – qui en ont découlé. Avec leur conscience aiguë de ce lent travail collectif de formation, les Mujeres libres en ont fait, en plus d’un moyen d’émancipation et de résistance aux oppressions subies par les femmes, un terreau de préparation aux évènements brutaux. Ce qui leur a permis, à mesure que la guerre civile avançait, de s’organiser avec courage et efficacité lorsqu’il a fallu s’organiser pour accueillir, nourrir et protéger des réfugié-es, voire se battre sur le front. Elles sont même parvenues à tirer parti du contexte chaotique de la guerre pour arracher des libertés supplémentaires, dans un environnement qui leur était souvent bien plus hostile que l’image de la révolution de 1936 ne le laisse entendre.

Cela grâce aux deux principes fondamentaux cités plus haut : l’apprentissage par la pratique et l’encapacitation (capacitación). L’apprentissage par la pratique a favorisé l’appropriation des différentes activités de la vie courante et la critique sociale. En articulant l’instruction élémentaire et la culture politique avec toutes les dimensions de la subsistance (de l’agriculture à la conduite des machines en passant par la puériculture), ces activités devenaient en elles-mêmes des moyens d’émancipation, de résistance et de préparation (à la révolution et à la guerre). Quant à la capacitación, Martha Ackelsberg la définit ainsi : « une combinaison de prise de conscience et d’autonomisation (au sens de se développer et d’avoir confiance en ses propres capacités) est probablement ce qui s’en rapproche le plus ». En tant qu’objectif de permettant la connaissance et la maîtrise de sa propre vie, on peut dire que cette idée traversa tout le mouvement d’éducation populaire anarchiste en Espagne, mais elle prit un sens plus fort encore avec la situation spécifique des femmes, objets de dominations croisées (sexuelle, économique, culturelle…). La capacitación constitue un précédent remarquable, comme le remarque encore Martha Ackelsberg, aux idées des écoféministes, formulées bien plus tard.

En savoir plus

Liens

Nicole Beaurain et Christiane Passevant, « Femmes et anarchistes : De Mujeres libres aux anarchaféministes », L’Homme et la société n°123-124 https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1997_num_123_1_2880

Miguel Chueca, « Une force féminine consciente et responsable qui agisse en tant qu’avant-garde de progrès (I & II) » https://agone.org/aujourlejour/-une-force-feminine-consciente-et-responsable-qui-agisse-en-tant-quavant-garde-de-progres- + https://agone.org/aujourlejour/-une-force-feminine-consciente-et-responsable-qui-agisse-en-tant-quavant-garde-de-progres-ii

Les 13 numéros de la revue Mujeres libres (en espagnol)

https://www.museoreinasofia.es/coleccion/proyectos-investigacion/mujeres-guerra-civil-espanola/asociacionismo-mujeres-libres-ama

Livres

Martha Ackelsberg – Free Women of Spain. Anarchism and the Struggle for the Emancipation of Women (traduit en français par Alain Thevenet et Marianne Enckell : « La vie sera mille fois plus belle ». Les Mujeres libres, les anarchistes espagnols et l’émancipation des femmes, Atelier de création libertaire, 2010)

Hélène Finet (coord.), Libertarias. Femmes anarchistes espagnoles, Nada, rééd. 2021 ; voir notamment l’article d’Ana Armenta-Lamant Deu, « L’éducation dans la revue Mujeres libres : une nécessité pour l’émancipation des femmes »

Mary Nash, Femmes libres – Mujeres libres, Espagne 1936-1939, La pensée sauvage, 1977

Édouard Waintrop, Les anarchistes espagnols (1868-1981), Denoël, 2012

Les écoles libertaires de la guerre d’Espagne 1. Escuela moderna

Qui ? Quoi ? Quand ? Où ?

Le 27 juillet 1936, sous la pression de la rue, le gouvernement catalan annonce, par décret, la constitution du CENU (Conseil de L’École Nouvelle Unifiée). L’éducation sera l’un des domaines où les révolutionnaires interviendront avec le plus de dynamisme, notamment dans l’objectif de soustraire l’assise et l’influence de l’Église dans ce domaine. Les révolutionnaires s’appuieront sur les pratiques de Francisco Ferrer. La CENU sera l’organe qui permettra de réorganiser l’école de fond en comble. En effet, la situation en Espagne est critique en 1936 : le taux d’analphabétisme est de 52%, et 60% des enfants ne sont pas scolarisés. À cela s’ajouteront les élèves des écoles confessionnelles fermées au moment de la révolution.  La CENU tentera de mettre en œuvre son mot d’ordre « pas un enfant sans école ». Pourtant, les contraintes matérielles sont importantes car les locaux et les enseignants font défaut. Les organisations ouvrières seront sollicitées pour apporter leur aide. Le syndicat du bâtiment proposera un plan d’urgence de construction d’écoles, tandis que celui des transports s’organisera pour que tous les enfants puissent se rendre gratuitement dans des écoles hors de Barcelone et des combats. Ce déplacement est aussi motivé par la volonté de mettre en contact les enfants des villes avec la nature et leurs camarades à la campagne. Aussi, ces écoles pourront en partie servir à répondre aux besoins des populations pendant la guerre. Les enfants apprendront donc à cultiver dans des petits potagers pédagogiques à la fois pour apprendre des savoirs jugés comme utiles et serviront à la satisfaction de besoins alimentaires des populations catalanes. Un an plus tard, le CENU aura engagé 4700 maîtres d’écoles en catalogne, et aura quasiment doublé leur salaire. Dans le même temps, 82 515 enfants ont été inscrits soit une augmentation de la scolarisation ayant plus que doublé. Les orphelinats disparaissent également, parce que les enfants qui y résidaient sont mêlés aux autres, et finissent par appartenir aux communautés. La séparation artificielle qu’avait opérée l’église est donc abolie. 

La question de l’école a toujours été centrale dans la pensée et les organisations anarchistes. Dès le départ, les anarchistes se sont donné les moyens de se former, créer des pédagogies nouvelles, pour les enfants et les adultes, avec l’objectif de s’émanciper des doctrines religieuses et bourgeoises. Au début du 20e siècle, le mouvement anarchiste se fragmente, et de plus en plus de personnes s’intéressent au courant de l’anarchisme individualiste, qui, ne croyant plus aux rêves de révolution, ou pensant que quand bien même celle-ci aurait lieu, rien ne nous permet de dire qu’elle donnera naissance à une société libre et égalitaire. Les individualistes préconisent une existence entière dès maintenant. Se formeront des groupes de libertaires bohèmes, qui veulent travailler de leur main et de leur tête, pour devenir des humains complets, qui veulent la vie bonne ici et maintenant. Les anarchistes individualistes mettront donc en pratique des alternatives de vies concrètes. Malgré tout, de nombreuses expériences communautaires et communales échouent, les anarchistes individualistes et les anarcho-syndicalistes se mettront d’accord sur le fait qu’il faut reprendre le mal à la racine, puisqu’il semble difficile de faire monde ensemble depuis les socialisations qui sont celles des anarchistes à cette époque. Changer la société, c’est changer l’individu, et l’école bourgeoise inculque dès l’origine des valeurs autoritaires. Il faut donc se réapproprier l’école. L’une des grandes figures anarchistes de l’éducation sera Francisco Ferrer, qui inventera « l’escola moderna », l’école moderne. L’école moderne a de grandes exigences d’élévation intellectuelle, sensorielle et physique, ne négligeant ainsi aucun aspect de la vie (peut être moins spirituelle ?). Francisco Ferrer parlera d’éducation intégrale, c’est-à-dire intellectuelle et manuelle, pour que tout le monde puisse apprendre à plus ou moins tout faire. L’école moderne sera séculaire, à destination des enfants et des adultes, et basés sur des relations égalitaires entre les élèves et les professeurs. L’école moderne donnera lieu à un véritable mouvement, dont Ferrer continuera d’être la figure prépondérante. Ces écoles effraient autant l’église que la bourgeoisie, et Francisco Ferrer sera condamné à mort à la première occasion venue. Il sera accusé, à tort, d’avoir organiser la grève générale de Barcelone de 1909 et il sera exécuté en octobre de la même année. Son exécution provoquera des émeutes partout dans les grandes villes, notamment européennes. 

La guerre d’Espagne qui commence en juillet 1936 reste à ce jour la plus grande expérience d’organisation sociale fondée sur des principes anarchistes. Bien avant 36, syndicats et organisations libertaires s’étaient dotées d’écoles ou de cours du soir, à l’image de Ferrer et des individualistes, qui n’attendaient plus la révolution pour mettre en actes les principes anarchistes. L’expérience du communisme libertaire espagnole sera freinée par la contre-révolution à l’initiative des républicains modérés et des staliniens dès 1937. Ce sera finalement en mars 1939 que les anarchistes seront forcés d’abdiquer, quand les troupes de Franco entreront à Barcelone, soutenues par les puissances occidentales. L’expérience d’un anarchisme réellement existant est brève certes, mais c’est l’expérience la plus importante à ce jour. Durant ces trois années se sont intensifiées et multipliées les expériences déjà à l’œuvre en Catalogne durant les décennies qui ont précédé la Guerre d’Espagne.

Le programme du CENU est de mettre en œuvre une révolution pédagogique. D’abord, celle-ci se veut en opposition à l’éducation d’hier, essentiellement tenue par l’église, dont les tares étaient très nombreuses : internats, maisons de corrections et casernes. Tout ceci disparaitra, et avec, la notion de châtiment associé à l’école. L’École Nouvelle se veut détachée des traditions autoritaires. En ce sens, cette école ne veut pas non plus enrôler la jeunesse. Il ne s’agit pas de fabriquer des petits anarchistes. Ces écoles libertaires ont d’abord pour objectif de respecter l’entière liberté aux enfants, et sont critiques de la façon dont l’école a historiquement modelé l’esprit de l’enfant selon ses normes et ses dogmes, exigeant avant tout des élèves une forme de servilité. Juan Puig Elias, président du CENU, écrira dans L’Espagne Antifasciste, qu’il s’agit pour l’enfant de « Développer d’une façon graduelle et harmonieuse toutes et chacune de ses facultés. Quand il sera grand, il aura nos idées, si celles-ci sont les meilleures, ou bien il ira plus loin, si elles sont fausses ou mesquines ». 

Matériellement, le programme de la CENU cherche un équilibre entre l’acquisition d’une culture émancipatrice et des savoirs pratiques. Sans partir des classes d’âge mais plutôt des rythmes de chaque élève, il s’agit d’une scolarisation continue pour tous de la maternelle au collège pendant 15 ans, la « polytechnique basique », et viennent ensuite les écoles « supérieures » (Polytechniques et Universités) qui peuvent aussi accueillir des personnes n’étant pas allées à l’école durant leur jeunesse.

En vérité, les écoles auront beaucoup d’autonomie et fonctionneront selon leurs principes. Plusieurs écoles héritières des pédagogies de Ferrer se fédèrent, sous l’égide de la CNT (confédération nationale des travailleurs, syndicat le plus influent pendant la guerre d’Espagne) pour tenter d’aller encore plus loin que le CENU. Les écoles de cette fédération régionale sont autogérées, c’est-à-dire qu’elle ne nécessitent pas de directeur. Un responsable politique de la CNT relate en juillet 1937 que « « L’organisation interne est régie par la démocratie la plus absolue. Tous les problèmes qui se présentent sont résolus par des assemblées communes d’enfants et de professeurs. On comprend facilement qu’avec ce procédé il n’y ait besoin d’aucun directeur ». Cette fédération d’une centaine d’école et de 1200 élèves s’est donné comme objectif de coordonner les anciennes écoles alternatives qui, grâce à la révolution, pourront reprendre de la vigueur.

Les syndicats aussi s’emploieront à continuer leurs activités éducatives, voir même à les intensifier. Ils mettront à disposition des élèves des bibliothèques, des ateliers, des jardins d’essais, des élevages de divers animaux, du matériel de cinéma que les enfants gèrent par eux-mêmes. Chaque enfant peut avoir sa propre table personnalisée, et l’enseignant se retrouve non pas sur un pupitre mais au milieu de la classe parmi ses élèves.

Dans les maternelles, les institutrices (ce seront presque toujours des femmes) ont pour mission de laisser les enfants jouer, et de les mettre en contact avec la nature. Chaque école doit obligatoirement avoir un jardin et un potager. Les pupitres aussi seront différenciés, pour respecter l’individualité et l’expression de chaque enfant. 

Ce que l’on peut retenir pour les chantiers-pluriversité

L’expérience des écoles libertaires pendant la Guerre d’Espagne donne à voir un anarchisme existant, freiné par Franco et les autres puissances européennes. La Catalogne, pendant cette période, attirera des révolutionnaires du monde entier, fascinés par la possibilité de mettre en œuvre à une si vaste échelle les principes anarchistes. Cette expérience donne à voir une volonté collective de purger l’école de tout forme d’autoritarisme en vertu d’une liberté à restituer aux enfants. Pour autant, l’idée de liberté ici développée n’a rien à voir avec celle que pourrait défendre les modernisateurs. La liberté a été ancrée dans la subsistance, parce que l’autonomie politique de la Catalogne ne pouvait continuer sans autonomie matérielle. Les élèves apprenaient donc, en partie, des savoirs de subsistance, du moins des savoirs qui leur permettaient de soutenir leur communauté.

Cette expérience nous donne aussi à voir l’importance jouée par les organisations anarchistes et les organisations ouvrières en termes de structuration et de capacité à prendre en charge par elles-mêmes les besoins d’éducation. En cela, elle donne à voir les capacités du mouvement social à instituer. Sans les bases extrêmement solides de la CNT avant la révolution, l’expérience aurait été tout autre. Puig Elias le dira lui-même à un journaliste de Tierra y Libertad qui lui demander si les essais ont donné de bon résultat, ce à quoi il répondra : « Oh, c’est indiscutable ! Mais tu fais une erreur. Pour nous, ceci n’est pas un “essai”. Durant presque vingt ans, nous avons essayé dans la clandestinité et perfectionné nos méthodes ».

Enfin, les anarchistes ont ceci d’intéressant qu’ils se méfient d’eux-mêmes, et de leur propre pouvoir sur les enfants. Ils ont une telle méfiance à l’endroit de l’autorité illégitime y compris dans l’éducation, que leur réflexion sur l’éducation comporte une réflexion sur les risques d’endoctrinement. Il ne s’agit donc pas de fabriquer de bons petits anarchistes, mais de tenter de faire des hommes libres, en espérant que ceux-ci adhèrent à l’organisation sociale, et puissent l’enrichir de leurs nouvelles perspectives. 

En savoir plus

Sylvain WAGNON, « L’éducation libertaire, xixe-xxe siècle » : https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/%C3%A9ducation-et-formation/%C3%A9ducations-politiques-%C3%A9ducations-%C3%A0-la-politique/l%E2%80%99%C3%A9ducation-libertaire-xixe-xxe-si%C3%A8cle

Espagne 36, l’école fait sa révolution http://www.cnt-f.org/nautreecole/?ESPAGNE-36-l-ecole-fait-sa#nh20

1937 : Éducation et émancipation chez les anarchistes espagnols, UCL https://www.unioncommunistelibertaire.org/?1937-Education-et-emancipation-chez-les-anarchistes-espagnols

Serge Salaun, L’École primaire de la République en guerre (1936-1939) : https://books.openedition.org/pufr/5223?lang=fr

Ricardo Fernández Rodríguez, « Francisco Ferrer y Guardia : une vie de combat libertaire et maçonnique » : https://www.cairn.info/revue-humanisme-2010-1-page-91.htm

Source de l’image principale : https://www.unioncommunistelibertaire.org/?1937-Education-et-emancipation-chez-les-anarchistes-espagnols

Eco-fiction sur la Loire à Bou

Qui ? Quoi ? Quand ? Où ?

Résidence d’auteur « Bou 2040 : commune écologique ? »

Bou, dans l’est d’Orléans, commune de 1000 habitants entourée par la Loire, en 2040.

 Série d’ateliers, rencontres et événements  d’éducation populaire, employant l’éco-fiction pour orienter l’expérience politique du futur mené dans le village . L’éco-fiction est définie par le résident Marin Schaffner comme un genre narratif qui projette dans des univers futurs, parallèles ou alternatifs, qui sont écologiques. 

Y participent : Marin Schaffner (auteur et éditeur, ethnologue de formation), le maire de la commune , quelques adjoint·es, quelques citoyen·nes, jeunes et moins jeunes Boumien·nes, les enfants de l’école primaire de Bou, amis et amies déserteurs (énergéticien·nes, architectes, paysagistes, etc.), ainsi que les associations du village (historiens, artistes, mariniers, naturalistes, etc.). Au total, 70-80 personnes participent de manière plus ou moins active à la résidence, en plus des 90 enfants de l’école avec lesquels divers ateliers sont menés – soit environ 1/10 de la population de Bou. La composition demeure ouverte, l’équipe continue d’embarquer un maximum de personnes dans le projet.

 Chaque période de résidence (5 jours par mois pendant 9 mois, au rythme des saisons) porte sur un thème différent : eau, santé, biodiversité, énergie. Le but est de construire des lieux de rencontre, des espaces politiques, pour co-construire des imaginaires politiques et écologiques qui nous lient et relient aux lieux et ses habitant·es, des initiatives qui demeurent dans le temps, des alliances politiques qui rendent possibles les imaginaires souhaités dans le long-terme.

Contexte et Méthode

| rencontre avec un village de bords de Loire récupéré par une liste citoyenne aux dernières élections municipales, et portant une envie commune d’imaginer les autonomies futures du village.

| milieu prêt à accueillir une telle initiative( liste citoyenne intéressée  par les questions écologiques) ; dispositif de résidence d’auteur financé par Ciclic (Agence régionale du livre).

| Bou en tant que village entouré par le vif courant d’un fleuve, La Loire, et ses diverses crues ont  poussé à  la construction d’une levée (digue de protection contre les inondations) . Le fleuve repose sur une zone karstique, un espace géologique où les roches sont érodées depuis des millénaires par des rivières souterraines. Cela veut dire que l’eau s’y déplace en montant et descendant à travers tout un réseau de cavités, de conduits et de canaux naturels – cette géologie de la Loire fait d’elle un lieu dangereux, ou plusieurs baigneurs se sont fait emporter par les cours d’eau dans les cavités souterraines – pour ne jamais en ressortir… Il régit une aura de peur et de respect autour du fleuve qui inspire et invite à une approche d’éco-fiction.

| travail de recherche-action-création collectif, qui se pense en dehors du monde académique, et qui vise à formuler en commun des idées pour l’action (défense d’une approche de terrain engageant des formes multiples de reconnexion pour toutes les parties prenantes)

| l’esprit de désertion de l’université et de la grande ville, qui irriguent les imaginaires de certain·es,  en vue de construire  des futurs désirables dans des lieux à d’autres échelles (réinvestir autrement la politique locale, communale, régionale).  

| défendre et déployer des imaginaires de bassin versant depuis des terrains situés (porter les enjeux biorégionaux depuis des problématiques locales, autour des questions de solidarité amont-aval).

Témoignages sur les communaux énergétiques, l’éducation populaire située et la magie

Matinée

Après le train Paris-Orléans,  un peu de bus, et enfin du stop, nous arrivons  sur la place principale de Bou. Dans la voiture, notre chauffeure se doutait déjà de notre destination : elle nous dit qu’il n’y a rien qui se passe là-bas, juste une bibliothèque, presque toujours fermée, une pharmacie, aussi souvent fermée et à la rigueur un tabac… « ah bah voilà il est en train de fermer ! ». Nous descendons de la voiture et sommes accueillies par la musique forte, grave et vibrante d’une cornemuse. Nous descendons et regardons autour : les apparences ne trompent pas, nous savons instantanément que les 4-5 personnes au milieu de la place sont là pour la même raison que nous : leurs habits témoignant d’un esprit pratique et d’une tendance aux activités en extérieur, les cheveux – souvent longs, décoré ludiquement d’une branche trouvé dans le coin –, les couleurs, leurs carnets et livres en main.  

« Vous attendez Marin aussi ? » 

« Oui. Carrément. ». 

Nous n’avons presque pas le temps de regarder autour de nous, il y a d’autres personnes qui arrivent, des personnes plus âgées, des habits (et habitus) différents… des gars du coin ? Les gens se connaissent-ils ? 

Des lectures à haute voix commencent à remplir l’espace après un bref tour de prénoms informel. Les bouts de textes pour inspirer à Bou s’enchainent, des poèmes, des éloges de la Loire, de ses habitant·es, un extrait  des Onze de Pierre Michon, des dénonciations de « l’automobilisme » par Gaston Couté, des histoires d’autres rivières. Les différents tons de voix, hauts et bas, se répondent, naturellement, nous faisant croire pour un instant qu’il s’agit de réponses qui ne sont pas scriptées, alors que l’on déchiffre seulement après qu’il s’agit d’une nouvelle lecture qui s’enchaine à la dernière. Une femme souriante offre des tracts, sur lesquels sont imprimées trois lignes en rime sur des oiseaux qui viennent frapper à ta porte et l’invitation à la fête de fin de résidence à la Binette, lieu de rencontre au bord de la Loire. Les sons de l’espace participent aux discours, aux lectures, la cornemuse nous sérénade à plusieurs reprises servant parfois d’intermède , mais aussi d’accompagnement à la voix parlée. Pendant une lecture, un vent soudain fait tomber un lourd panneau d’affiche électorale de Marie Le Pen à 5 centimètres de la tête d’un des présents – ce qui nous amène à réfléchir à comment être debout et loin des ordinateurs permet au supranaturel et à la magie d’intervenir dans nos journées. Sales écrans voleurs de magie… A un moment, un simple programme politique est lu et nous comprenons qu’il s’agit en fait du maire de Bou, et le vieil homme à côté de lui un des adjoints. Une forte grêle nous empêche de continuer le porte-à-porte, on va se mettre à l’abri . 

Après-midi

Le déjeuner commun dans la maison d’un conseiller municipal très impliqué était déjà rempli de riches conversations informelles et une manière de découvrir certains des participant·es et d’en accueillir de nouveaux. Mais l’après-midi est dédié à un long moment d’échange autour des futurs écologiques, plus spécifiquement une possible autonomie énergétique de Bou, dans «  l’atelier communal »,  le Labo&cie (prononcez : La Boétie) et construit au début du projet par les habitant·es et autres participant·es. Quelle belle faune : des vieux résident·es de la commune, des jeunes qui vivent là depuis peu, des retraités d’EDF, le maire, des adjoints, des porteurs de projets d’Énergie Partagée, des veilles dames curieuses. La discussion est animée par une ingénieure énergéticienne ayant quitté son travail il y a quelques temps et parfois modéré par Marin qui introduit le propos. Comment répondre collectivement à un sujet épineux comme l’énergie ?

0. Mais tout d’abord, qu’est-ce que c’est l’énergie ? C’est la captation de force terrestre, c’est le soleil, c’est un changement d’état. C’est production, lumière, transport, c’est le confort, le Joule, le Watt, le Cheval, l’Ampère. C’est la magie d’appuyer sur un bouton et d’être illuminé, tout en gardant dans l’ombre l’infrastructure derrière qui le rend possible, les câbles et ses ions.

Comment sommes-nous arrivé à tout cela ? Sachant qu’il y à 100 ans à Bou on avait plus de 12 moulins, des chevaux, des centaines de bateaux qui montaient et descendaient la Loire – et surtout pas d’électricité. 

1. Nous écoutons ceux qui portent encore la mémoire du moment de transition – du temps où l’électricité, le gaz, les chaudières et les appareils électroménagers ont commencé à se frayer leur place dans les maisons boumiennes. « Bah on faisait du vélo, stock de bougies, oui je me souviens il y avait une lampe à un moment, juste une ampoule – fallait faire très attention. » – « La première ressource était la noix de coco, ça arrivait en masse en bateau. Puis petit à petit il y a eu les centrales EDF qui se sont installé dans la région. Puis les gens ont bougé, ils ont trouvé des postes par là-bas ! Les salaires étaient plus hauts, tu regardais ton voisin, tu voyais qu’il avait ci, il avait ça, tu t’achetais ce que t’avais pas. Dès qu’il y avait un nouvel appareil, tout le monde le voulait. » – « Je me souviens la chaudière, les agences passaient par les maisons, faisaient de la pub, et on achetait. Faut s’imaginer que quand on chauffait au bois, ça n’a rien à voir avec chauffer au bois maintenant. On chauffait une pièce, et basta…on chauffait un four à pain dans le village pour tout le monde, le devoir du pain tournait. » Le mot tombe : « C’est  devenu la société de consommation ! Comme l’a très bien montré Baudrillard ». Les esprits personnels ont été marqués par ce concept et surtout s’y sont retrouvés. D’autres termes techniques sont employés : la modernité comme processus d’éloignement d’exploitation des ressources. Entre récits personnels et entrevue de lectures marquantes, une véritable fresque des Trente glorieuses est dessinée : « Ce qu’on décrit, c’est ce qui s’est passé dans tous les villages de France, des villages qui sont sortis d’eux-mêmes », ponctue Marin.  Maintenant, comment se projeter dans ces « sociétés post-extractivistes » qui nourrissent non seulement nos besoins, mais  aussi un certain « confort » ?

2. Travail sur les imaginaires futurs. Les gens se séparent. Nati se retrouve avec un garçon du coin qui suit l’initiative depuis quelque temps, et a déjà des idées. Elle écoute avec plaisir. Le souci principal, vu comment c’est petit et simple, c’est la vie quotidienne. Pour Bou 2040, faudra avoir remis en commun les tâches qui consomment la majorité de notre énergie au quotidien. Partons du réseaux internet, le linge, et le four. On construit une plateforme de tout cela à La Binette, à côté de la Loire, et on tourne le tout avec les énergies du fleuve. La Binette est située à l’endroit où la Loire tourne, prenant plein de force et vélocité. Sûrement on doit pouvoir faire quelque chose avec cela ? On rendra le lieu beau, sur des pilotis – si jamais les eaux montent, on est bien. On profite de la beauté de la vue sur l’eau, mais on réinvente aussi un autre lien avec lui, qui n’est plus seulement esthétique. Pour les gens ça ne va pas être simple de renoncer à leurs écrans, on appelle le lieu « accompagnement à la déconnexion » … 

De son côté Eléonore explore justement les limites des projets aux côtés d’un ingénieur retraité ayant travaillé sur les normes ISO qui et d’une jeune paysagiste. Comment dépasser les rythmes imposés par le cycle du travail à temps plein ? Comment mieux permettre une application dans une vie de village construite sur l’entraide ?

3. La dernière partie est dédiée à la restitution des imaginaires. Le jeu est central, les restitutions sont récitées, drôles et ponctuées d’interjections et de blagues. Mais la forme ne compromet pas le fond. Le travail des derniers mois se fait voir, les imaginaires sont riches en idées, aussi créatives que techniques : une maison commune pour les appareils énergivores, mais aussi des champs de chanvre qui serviront pour l’isolation, un cycle fructueux avec les maraîchers locaux, qui contribueraient à la production énergétique, tout comme pourrait le faire un bateau dédié à cela sur la Loire…

Les inconnu·es sont devenu·es des connaissances et les tensions du début se sont tassées. On observe rigoler le retraité d’EDF quand deux messieurs font une restitution en blague, en s’imaginant le jour de la voiture de Bou 2040, 11 mai, seul jour ou l’on peut aller balader nos voitures : « C’est le bordel partout, la ville devient un bouchon total ». 

Pourtant, nous concluons sur une autre forme de tension : qu’est-ce qu’un imaginaire désirable à l’heure où nos enfants s’imaginent faire le tour du monde en 5 minutes ?

La journée se termine avec une vingtaine de citoyen·es. Il est l’heure de renter à la maison boire  un coup : il est temps de se détendre, mais le travail de l’après-midi continuera à faire travailler les esprits. Demain, cinq millions d’électeurs iront voter. Il n’est plus trop clair qui arrivera à changer le monde. 


Ce qu’on peut retenir pour les chantiers-pluriversité

L’importance et l’efficacité de l’ethnographie et l’éducation populaire à tisser des liens avec un lieu ; l’importance de se situer éventuellement, de matérialiser l’école qu’on souhaite et vraiment faire le pari de l’insertion dans un lieu, une histoire, une dynamique locale nous permettant de couper nos dépendances aux infrastructures de déracinement (TGVs et compagnies). L’éducation populaire est donc située dans un lieu de commun – dans tous les sens du terme – qui rassemble les points de vue et avis différents, qui créée la possibilité de discussions entre autres et qui met au centre les enjeux d’inclusivité.

En savoir plus

Site et image principale :https://bou2040.fr

Schaffner, M., Rollot, M., Guerroué, (2021). Les Veines de la Terre. Editions Wildproject.

Krenak, A. (2020). Idées pour retarder la fin du monde. Éditions Dehors.

Reprise de Terres

Les reprises de savoirs sont né d’un atelier qui s’est tenu lors des rencontres Reprises de Terre en Aout 2021 sur la zad de NDDL. Une publication est cours de fabrication par l’équipe de coordination de Reprise de Terres. Mais d’ici là vous pouvez trouvez plusieurs articles sur la revue Terrestres :

https://www.terrestres.org/category/reprise-de-terres/


Différents Podcasts ont été produit pendant ces rencontres

Le grand Charivari de la ZAP

Le grand Charivari de la ZAP à Pertuis dans le Vaucluse, sera l’occasion printanière d’élargir la dynamique Reprises de Savoirs et de rendre public l’appel à des Chantiers Puri·versités qui s’est élaborer cet hiver. Depuis plus d’un ans des personnes se mobilise contre l’artificialisation prévue de 86 hectares. Les 14 et 15 les Soulévements de la terre seront à Pertuis ! Nous aussi !