Reprises de savoirs

 — Tribune / Jeunes diplômés, nous continuons de déserter car nous refusons d’être complices

Tribune / Jeunes diplômés, nous continuons de déserter car nous refusons d’être complices

Un an après les premiers « discours de désertion » dans les grandes écoles, des diplômés bifurqueurs reviennent sur leur refus de rejoindre « les rangs privilégiés d’une guerre menée par le monde marchand contre le vivant ». Et dressent, dans une tribune à « l’Obs », des perspectives pour l’avenir.

Publié le dans l’Obs
https://www.nouvelobs.com/opinions/20230425.OBS72596/jeunes-diplomes-nous-continuons-de-deserter-car-nous-refusons-d-etre-complice.html

En 2022, beaucoup d’encre a coulé au sujet de la désertion des plus diplômé·es, souvent dans la confusion et la superficialité. Nous, collectifs accompagnant ce phénomène social qui s’intensifie, voulons clarifier ce que nous mettons derrière ce mot.

Deux ans de crise sanitaire ont mis à nu l’absurdité d’un quotidien passé à travailler au service d’une économie déconnectée du réel. 2022 a été l’année des vagues de démissions, des discours dans les grandes écoles et des odes au refus du travail comme marchandise. Dans ce contexte de mouvement social d’ampleur – violemment réprimé – contre une réforme des retraites qui considère les êtres comme des ressources productivistes, nous voulons préciser pourquoi nous avons choisi de déserter, dans l’idée de donner des perspectives et d’élargir le front de la contestation.

Que désertons-nous ?

L’illusion perdure selon laquelle la fin du monde serait empêchée par les responsables du désastre : le capitalisme, l’industrie, la technologie, l’Etat. Quelques pistes cyclables, voitures électriques, panneaux solaires, écoquartiers et autres taxes carbone seraient des « solutions ». Or, notre régime économique repose sur l’exploitation des classes laborieuses et des milieux vivants. Il a imposé un mode de vie et une hiérarchie sur tous les territoires du globe par la violence, étouffant progressivement toute alternative.

Contraint·es de passer par la monnaie pour nous nourrir, nous loger, nous soigner, nous sommes privé·es de tout contrôle sur nos vies et de nos moyens de subsistance. Ce ne sont pas les activités artisanales, agricoles ou artistiques qui remplissent l’estomac, mais plutôt l’individualisme, la compétition et l’héritage. Pour nous, être libre, c’est être capable de prendre en charge directement et collectivement nos besoins primaires. Nous ne voulons plus dépendre de l’industrie pour y subvenir.

Jeunes diplômé·es, nous étions parti·es pour des carrières promettant confort et privilèges, en échange de notre loyauté à la classe bourgeoise dominante. Nous avons déserté, car nous refusons ce rôle de complice. Nous désertons les rangs privilégiés d’une guerre menée par le monde marchand contre le vivant. Nous désertons le carriérisme, et les vaines tentatives de verdir le monstre depuis son intérieur. Nous désertons le culte de la technologie, et les fausses solutions promises par l’industrie pour combattre ses propres fléaux.

Déserter pour mieux riposter

Nous souhaitons sortir de l’entre-soi et entrer en résistance, aux côtés de celles et ceux qui se battent pour la terre et la liberté. De la défense des communs à la lutte contre les politiques autoritaires et impérialistes, nous partageons nos connaissances des rouages de la machine avec celles et ceux qui tentent de l’enrayer. Cadres dits « supérieurs », habitué·es à la ville, aux salles de cours et aux bureaux, nous ne sommes pas les mieux placé·es pour nous réinventer paysan·nes et artisan·es. Alors nous apprenons auprès de personnes qui vivent humblement et fièrement, sachant faire des choses par elles-mêmes.

Nous n’inventons rien. Des luttes marronnes aux exodes anti-industriels post-68, du refus de parvenir ouvrier du début du XXe siècle aux stratégies zapatistes des années 1980, nos désertions trouvent leur inspiration dans une histoire riche de mouvements qui ont voulu tantôt résister à l’oppression, tantôt transformer leur monde, mais toujours en défaisant le pouvoir plutôt qu’en le conquérant.

Sortir des oppositions stériles

Nous souhaitons en finir avec le faux débat opposant « les privilégié·es qui désertent pour élever des chèvres » et « les collabos réformistes qui restent à l’intérieur ». Nous mesurons que la critique radicale de la société que nous portons est partagée par beaucoup, que des alliances sont à construire. Nous pouvons avoir des méthodes différentes : avec ou sans les institutions ; légales ou illégales ; violentes ou non ; locales, régionales ou nationales, voire internationales. Nous acceptons la diversité des tactiques, tant que l’on partage un horizon commun.

Ceci dit, beaucoup d’énergie est mobilisée aujourd’hui pour résister depuis l’intérieur, quand nous sommes encore trop fragiles pour construire de vrais rapports de force depuis l’extérieur. Nous n’enrayerons pas la spéculation sur le foncier agricole en la dénonçant uniquement, mais en allant physiquement reprendre les terres ! Nous ne règlerons pas le problème de la sécheresse avec des petits gestes, mais en reprenant la gestion commune de l’eau, en commençant par mettre un terme aux projets de mégabassines ! Nous ne ferons pas la transition avec des centrales de production industrielle d’énergie, qu’elles soient nucléaires ou « renouvelables », car elles reposent sur un pouvoir centralisé, un régime néocolonial, des infrastructures nuisibles et alimentent la même mégamachine. Pour nous, la transition se fera en démantelant ces technologies autoritaires et l’extractivisme global !

Chez les révolté·es solitaires, l’isolement face à l’ampleur du désastre peut générer un sentiment d’impuissance écrasant. Il paraît souvent inconcevable de tout plaquer pour s’engager, sans solution ou plan à grande échelle. Mais il n’y aura jamais de chemin facile, de bouton « sortir du cauchemar » ou de bulletin de vote magique. Déserter, c’est aussi briser cet isolement pour se redonner une puissance d’agir collective. Notre désertion est joyeuse, elle nous rend conscient·es, capables, fier·es de nos apprentissages, et solidaires avec celles et ceux qui croisent nos routes.e

Etudiant·es, salarié·es, retraité·es, sans-emplois… Désertons ! Envisageons toutes les formes de désertion comme des options non seulement possibles, mais nécessaires, sérieuses, et désirables. Créons des réseaux de subsistance où chacun·e pourra vivre dignement. Préparons-nous à lutter pour celles et ceux qui nous entourent et en solidarité avec celles et ceux qui sont loin, pour défendre des milieux vivants et pour reprendre aux tout-puissants ce qui appartient à tous·tes… Construisons un mouvement large et transversal de démissionnaires solidaires pour renverser le rapport de force !

Des membres du discours d’AgroParisTech en 2022, les collectifs Les Désert’heureuses et Vous n’êtes pas seuls.

21_22_23 avril / La Friche aux trésors / Quartier Libre des Lentillères, Dijon

La Friche aux Trésors. 21/22/23 AVRIL Grand Week-end naturaliste et Bourse aux plantes au Quartier Libre Des Lentillères!

Voici un évènement qui fait suite au chantier reprises de savoirs mare de la métropole qui s’était tenu en octobre dernier, et auquel vous toutes et tous convié :slightly_smiling_face:

Au Lentillères, cela fait depuis 13 ans 8,5 hectares que d’anciennes terre maraichère sont protégés par l’occupation . Cela fait aussi depuis plus de 23 ans que ces terres ont été livré à elle-même, depuis l’arrêt des anciennes activités maraichères. La déprise agricole originelle et l’occupation contre le projet d’écoquartier a profité à une résurgence du sauvage faisant du Quartier Libre des Lentillères une friche hors du commun et un refuge de biodiversité au cœur de la ville. Partout, entre les parcelles des petits jardins, des grandes surfaces cultures, ont trouvent bosquets, haies denses et moult talus enherbés garnies de bestioles.

A l’heure de la prise de conscience de la crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité mondiale on se dit que le Quartier peut prendre un rôle humble et nécessaire dans la sensibilisation à ces questions à partir de l’existant luxuriant permis par l’occupation de ces terres.

Mais pour cela nous avons besoin de documenter plus précisément la présence de l’ensemble des être vivants sur le Quartier.

Durant deux jours nous invitons tout les naturalistes (amateur.ices ou expert.es) de Bourgogne Franche-Comté à participer à un grand inventaire naturaliste durant le week-end du 21/22/23 avril. Cette initiative répond à sa manière à l’appel lancé par Les Naturaliste des Terres: https://www.terrestres.org/…/lappel-des-naturalistes…/

Puis à partir de Samedi après-midi le quartier sera ouvert au grand public pour assister et participer à la grand assemblé de restitution des inventaires qui auront eu lieu la veille et le matin. Ensuite le week-end continuera avec des discussions, partages informels, rencontres et repas autour du foufournil des Lentillères, des mares et des espaces de nature spontanée, pour parler des alliance inter-espèces contre la méga machine capitaliste mortifère (comprenez ici les écoquartiers de béton).

PROGRAMME

SAMEDI 22

14h – Restitution des inventaires des naturalistes. prairie du Gingko Biloba

16h – goûter musicale

17h – Comment lutter pour et avec le vivant d’un point de vu naturaliste? Discussion animée par Alessandro Pignocchi, philosophe et dessinateur de bande dessinée , auteur de nombreux ouvrages traitant du rappor tnature/culture.

19H00 – Repas/prix libre – Cantine du château de l’Angle

20h Concerts,organisés par l’Engeance – Grange rose

> Les sales Bauvages – Bal Trad – Paris/Montreuil

> France – Vielle à roue /drone/exp – Haute-Loire

DIMANCHE 23

MATIN

10h30 – Comment rendre ses donnés naturalistes sexy!

MIDI – Repas/prix libre – Cantine du château de l’Angle

APRÈS-MIDI

14H – mares introductive – Pourquoi vouloir inviter des batraciens sur le Quartier des Lentillères? Une stratégie inattendue et innovante qui pose question.

14H30 – Première visite des plantes du Quartier Libre Des Lentillère.

16H – Ou en sont les luttes locales contres les projets inutiles? – table ronde avec les collectifs de défense des berges du Suzon, contre le méga-méthaniseur de Cerilly

et de la lutte contre le projet photovoltaïque de loulle (39)

16H30 – 2eme visite des plantes du Quartier

19h – Repas/prix libre – Cantine du château de l’Angle

Durant tout l’après-midiBOURSE AUX PLANTES ! Amenez vos plantes préférées ou ce que vous voulez pour échanger dans une ambiance conviviale!

Filmothèque animale – prenez votre clef USB afin de repartir en fin de journée avec plein de films sur le thème des animaux en tout genre.

15 20 mai /Marseille / Festival Les Chignoles !

C’est un festival féministe d’apprentissage des savoirs techniques Inspiré.e.s du festival la Tenaille qui a eu lieu à Montpellier en octobre. Il y aura des ateliers techniques en mixité choisie sans mecs cis hétéro.
On s’est dit que c’était bien dans la veine reprise de savoirs, alors on partage 😀

Le but est de se familiariser avec les outils, de rendre accessible des pratiques confisquées par la culture de l’hyper masculinité et de prendre confiance en nos capacités. La mixité choisie vise à nous permettre de faire des erreurs sans nous culpabiliser, on apprend!
> L’organisation et les ateliers seront en mixité choisie sans mecs cis hétéro.

Le collectif d’organisation recherche des intervenant.e.s prêt.e.s à transmettre leurs savoirs-faire techniques (menuiserie, électricité, plomberie, navigation, mécanique…) et des lieux pour les accueillir.
Si vous êtes motivé.e.s, si vous connaissez des gens et/ou des lieux,
vous pouvez écrire un mail sur lachignolefestival@framalistes.org

Séminaire Terrestres 14.02

Le collectif des Reprises de Savoirs – émanation des rencontres Reprises de Terres qui se sont tenues en août 2021 à Notre-Dame-des-Landes – avait lancé au printemps 2022 un appel (ci-dessous) à reprendre collectivement les moyens, les pratiques et les savoirs nécessaires à notre subsistance et à notre condition terrestre, à travers l’organisation de chantiers-écoles. Suite à cet appel, 22 chantiers-pluriversités associant têtes, cœurs et mains, luttes et savoirs, autogestion et création ont eu lieu entre juin et octobre 2022. Et une rencontre inter-chantiers s’est tenue en novembre aux Tanneries à Dijon pour préparer la suite des reprises de savoirs.

Que s’est-il expérimenté et éprouvé dans ces chantiers (liste des chantiers ci-dessous) ? Quelles ont été les enthousiasmes et les difficultés à « reprendre les savoirs », à partager des savoirs terrestres ? Quels apprentissages et envies ont émergé des rencontres interchantiers de novembre aux Tanneries à Dijon ? Comment rejoindre cette dynamique et/ou proposer des chantiers reprises de savoirs dans les prochains mois ? 

Vous êtes cordialement bienvenu.e.s à ce séminaire polyphonique, horizontal et participatif !

Mardi 14 février à 19h30 à la Parole Errante (9 Rue François Debergue, Montreuil)

info : https://www.terrestres.org/2023/01/09/seminaire-du-19-janvier-2023-quelles-reprises-de-savoirs/

La terre ou rien _ édito

On vous invite à lire sur terrestres.org l’édito du prochain numéro hors série de Socialter « Ces terres qui se défendent ».

Pour quelles raisons mener des « enquêtes » ? Parce que nous ne voulions pas partir de réponses toutes faites, mais nous mettre en quête des bonnes personnes, pour construire les bons problèmes.

Au-déformation : Brochure Riso

On s’est prit deux jours à l’atelier Riso de l’espace autogéré des Tanneries de Dijon pour imprimer une brochure avec 10 des récits d’auto-déformation. C’est trop bien d’imprimer en risographie.
Pour trouver un exemplaire, contactez-nous et on trouvera un moyen : salut@reprisesdesavoirs.org

Black Mountain College 1933-1957

Qui ? Quoi ? Quand ? Où ?

Le BMC est fondé en 1933 dans la ville de Black Mountain, près d’Asheville en Caroline du Nord, sur le campus d’un camp d’été YMCA.

C’est un projet instigué par l’enseignant John A. Rice (1888 – 1968), suite à son renvoi du Rollins College en Floride sanctionnant ses prises de position marquées à l’encontre de la direction et des orientations stratégiques de l’institution. Considéré comme véritable réformateur de l’éducation, c’est un personnage controversé, notamment du fait de ses critiques véhémentes envers l’éducation supérieure aux Etats-Unis.

Il est accompagné dans cette aventure par Theodor Dreier (le neveu de Katherine Dreier, fondatrice de la Société Anonyme, un musée expérimental d’art moderne, précurseur du MOMA). C’est par l’intermédiaire de Theodor que le collège gagne l’accès à un réseau de généreux donateurs qui rendront possible cette expérimentation. Ce dernier apporte également au collège une dimension holistique, un intérêt pour les façons de vivre et de s’organiser dans un monde en transformation.

La naissance du Black Mountain College répond au désir de créer un nouveau type de collège basé sur les principes de l’éducation progressive tels qu’établis par le philosophe et psychologue américain John Dewey, avec lequel John A. Rice se lie d’amitié dans les années 30. Visant à donner aux individus les moyens et le caractère nécessaires pour participer activement à la vie publique et sociale, le collège s’organise autour de la participation active des étudiants à leur propre formation.

La création du BMC peut également être lue comme l’ouverture d’un espace-temps en résistance face aux événements qui marquent l’époque : la grande dépression qui touche alors de plein fouet les Etats-Unis, l’ascencion d’Adolf Hitler, la fermeture de l’école du Bauhaus en allemagne (sous la pression nazi), le début des persecutions à l’encontre d’artistes et intellectuels en Europe,… dont certain parmi eux trouvèrent d’ailleurs refuge au BMC, que ce soit en tant qu’étudiants ou membres de la faculté, et influencèrent fortement les enseignements et la vie de l’école.

Bien que le BMC ait accueilli tout au long de son histoire de nombreux artistes et enseignants issus du monde de l’art, le collège n’est pas pensé comme une école d’art, mais plutôt comme un espace d’éducation interdisciplinaire. Dès sa fondation il s’agit de créer une école qui oeuvre à effacer les distinctions entre les activités scolaires, périscolaires et extra-scolaires. Une école qui considère l’éducation et la vie comme hautement entremêlées, et qui place les arts au centre plutôt qu’aux marges de sa pédagogie.

Parmi les figures qui ont marqué l’histoire du collège, on peut noter : Josef Albers*, Max Steins, John Cage, Buckminster Fuller, Aldous Huxley, Henry Miller, Merce Cunningham…

Lorsqu’il ouvre ses portes en 1933, le collège compte 21 étudiants, et, au plus fort, en accueillera près d’une centaine, qui deviendront, pour partie, des personnalités parmi les plus influentes dans les champs de la littérature, de la performance, ou encore des arts visuels. Le BMC se fait rapidement connaître au niveau national comme un lieu où s’expérimentent des idées innovantes concernant les objectifs et les moyens de l’éducation supérieure aux Etats-Unis.

L’expérimentation et l’expérience – expérience de la création, effort artistique, apprentissage expérientiel,… – sont donc au cœur des enseignements au BMC. Le cursus comprend l’étude des “arts libéraux” traditionnels – la littérature, la biologie, les mathématiques, les langues étrangères, les arts dramatiques, la musique, les arts visuels, etc. – tout autant que la participation au fonctionnement opérationnel du collège et à la vie de la communauté, – incluant le travail coopératif tel que le maraîchage, la construction et le rénovation, le ménage, la lingerie et la cuisine – ainsi que la vie culturelle du collège avec l’organisation de soirées thématiques, de performances, concerts, etc.

Ainsi, la pratique de la démocratie y occupe une place prépondérante – plus qu’un concept, c’est un mode de vie. L’institution est dotée de statuts uniques (pas de différenciation entre enseignants et étudiants), ainsi les étudiant.e.s participent à toutes les décisions du collège.

Au BMC, la démocratie signifie “faire des choses ensemble”, au-delà de l’administration ou de la gouvernance, il s’agit de faire l’expérience de créer, construire, voir, etc. – collectivement.

Sur le plan de la pédagogie pratique, il n’y a pas d’évaluations notées, ni de cours obligatoires, de curriculum pré-défini, d’examens standards ou de méthodes d’enseignement imposées. La responsabilité de l’éducation est entre les mains des étudiant.e.s, qui décident à leur rythme de leur passage de la division ‘junior’ à la division ‘senior’.

Le diplôme s’obtient après avoir réussi, ce que le premier catalogue du collège décrit comme “l’examen complet du succès ou de l’échec d’un étudiant à assumer ses responsabilités.”. Ces examens faits sur mesure avaient lieu sur demande — seulement lorsque les étudiants se sentaient prêts (ce qui explique que très peu d’entre elleux seront jamais diplômés du BMC) — et se présentaient sous la forme d’une série de questions diverses telles que : “Qu’avez-vous appris de notre étude des feuilles d’automne ?”; “Que pensez-vous qu’il doive être fait du Negro problem aux Etats-Unis ?”; “Si vous deviez concevoir la couverture d’un piano, quels facteurs auriez-vous à considérer ?”; “De quoi pensez-vous que nous rirons dans 20 ans que l’on prend tout à fait au sérieux aujourd’hui ?”. Evidemment, de telles questions ne cherchaient pas à valider des connaissances précises mais bien la capacité des étudiant.e.s à mobiliser perspicacité, réactivité, créativité et pensée critique avec équanimité et introspection, que ce soit pour concevoir une étude de couleurs, discuter de droits politiques, ou encore organiser les plants dans un jardin,…

En 1940, John A. Rice démissionne à la demande de la faculté du collège, à nouveau rattrapé par sa personnalité clivante qui divise et polarise le corps enseignant. S’ouvre alors une deuxième période, marquée par le déménagement du BMC sur un nouveau site, et la conception et construction de nouveaux bâtiments qui seront par la suite reconnus comme une véritable collection du style architectural international aux Etats-Unis.

C’est à la fois une période difficile – du fait du poids des importants travaux sur la vie communautaire – et une période féconde. En effet, le nouveau campus élargi accueillera de nombreux évènements de l’avant-garde comme par exemple le premier dôme géodésique de grande taille construit par Buckminster Fuller avec ses étudiant.e.s; la création de la compagnie de danse de Merce Cunningham ou encore la première performance musicale du compositeur John Cage.

Bien que plébiscité et soutenu par de plusieurs figures clés de la scène américaine telles que l’architecte Walter Gropius, le poète Charles Olson, ou encore les artistes américains Willem et Elaine de Kooning, Robert Rauschenberg, Cy Twombly, Robert Motherwell et Franz Kline; le Black Mountain College est contraint de fermer ses portes en 1957 du fait de difficultés financières.

Ce que l’on peut retenir pour les chantiers-pluriversité

« What you do with what you know is the important thing. To know is not enough »

— “Ce que l’on fait avec ce que l’on sait, c’est celà qui importe. Savoir n’est pas suffisant.”

~ John A. Rice, article paru dans Harper’s en 1937

Les principes clés qui sont mis à l’oeuvre au BMC sont :

  1. la centralité de l’expérience artistique comme soutien à l’apprentissage dans n’importe quelle discipline
  2. la valeur de l’apprentissage expérientiel
  3. la pratique d’une gouvernance démocratique partagée entre la faculté et les étudiant.e.s
  4. la contribution aux activités sociales, communautaires et culturelles en dehors de la salle de classe
  5. l’absence de supervision ou de comptes à rendre à des administrateurs externes (ou institutionnels)

On retrouve dans la pédagogie du BMC certaines des intentions partagées par les Reprises de Savoirs comme par exemple le refus du dualisme entre l’expérience vécue et les matières enseignées (à la manière de Dewey), qui se traduit par un entremêlement entre les activités de subsistance, l’organisation de la vie en communauté et celle des temps d’étude et d’expérimentation.

On peut noter aussi la volonté de rompre avec un système éducatif “sanctionnant”. Ainsi, pour John A. Rice, un des fondateurs du collège, la qualité de l’éducation ne se mesure pas par des notes ou tout autre critère standardisé mais par l’augmentation du désir d’apprendre et questionner; et donc du développement chez les étudiants d’une aptitude à la résolution de problèmes variés, ainsi qu’à un sens de soi plus riche. Ainsi, les examens proposés au collège (détails ci-dessus) visent essentiellement à tester la capacité des étudiants à s’engager avec imagination dans les enjeux – philosophiques, sociaux et pratiques – auxquels nous sommes confrontés dans notre société contemporaine. Rice le résume ainsi : au Black Mountain College, “notre effort central et constant est d’enseigner la méthode, et non pas le contenu; d’insister sur le process et non les résultats; d’inviter les étudiants à prendre conscience que la manière d’appréhender les faits et de se situer par rapport aux faits est bien plus important que la nature des faits eux-mêmes.”

Enfin, la place centrale des pratiques artistiques et expérimentales contribue également à déployer un autre rapport au monde, d’autant qu’elles sont organisées de manière à stimuler et généraliser la coopération (et non la compétition) et orientées vers l’établissement d’un dessein commun face aux périls auxquels l’humanité est confrontée, et le développement d’une capacité démocratique individuelle et collective pour le mettre en oeuvre.

*Josef Albers était professeur au Bauhaus et invité par le BMC à la fermeture de ce dernier sous la pression nazi. Il enseigne au collège de 1933 à 1949, où il fait de son objectif pédagogique “to make open the eyes” (ouvrir les yeux) de ses étudiants. Il a contribué à mettre l’éducation à la perception visuelle au cœur du curriculum du collège.

En savoir plus

John A. Rice (1888–1968) – Black Mountain College, Life as a Writer – Students, Education, University, and Faculty – StateUniversity.com https://education.stateuniversity.com/pages/2369/Rice-John-1888-1968.html#ixzz7gZo0i3x6

The Black Mountain College Museum + Arts Center

Black Mountain College : a progressive education – Yale University Press

Leap Before You Look: Black Mountain College, 1933–1957

Démissionner, bifurquer, déserter, émission sur lundi·soir

https://lundi.am/Demissionner-bifurquer-deserter

Démissionner, bifurquer, déserter… pour ne plus alimenter la machine, pour ne pas contribuer à la destruction du monde en cours. C’est le choix que certains ingénieurs ont fait : trahir ce à quoi leurs études les prédestinaient.

L’énorme écho rencontré par l’appel à déserter et à bifurquer de jeunes diplomés d’AgroParisTech indique à quel point ce qui se joue dans cette épidémie de « pas de côté » ne peut être réduit à une somme de prises de conscience individuelles en vue de réorientations professionnelles plus « responsables ». Si la figure de l’ingénieur est couramment associée aux classes supérieures, sa fonction dans le capitalisme contemporain est pourtant très différente de celle de la bourgeoisie classique. L’ingénieur ne détient pas de capital ou des moyens de production, il est capital et moyen de production. Décider de déserter après de longues études d’ingénieur, c’est manifester la violence de sa déception vis-à-vis de ce à quoi l’on sait que l’on va être employé. C’est s’apercevoir de ce à quoi l’on va servir au fil de son propre apprentissage. Mais qu apprend-on précisément dans ces écoles ? Quelles connaissances et compétences sont à se réapproprier ou à oublier ? S’agit-il de bifurquer ou de déserter ? A partir de quels seuils une somme de retraits du monde se transforme en constructions de mondes ? Comment faire sécession comme on mène un assaut ? Toutes ces questions tiraillent l’époque, elles en sont même probablement le cœur. Comme elles n’appellent pas de réponses toutes faites et prêtes, il s’agit de les ouvrir, de les déplier et de voir ce qu’elles appellent de nous et là où elles nous mènent. Pour ce lundisoir nous avons convié Romain Boucher, ingénieur diplômé de l’École des Mines, membre de l’association Vous n’êtes pas seuls, Eva et Sam des Désert’heureuses ainsi que Tité des Pluri-versité.