Reprises de savoirs

 — Batisseureuses des terres, récit d’un chantier en lutte, Melle, 2024

Batisseureuses des terres, récit d’un chantier en lutte, Melle, 2024

Initié il y a un an lors du chantier Reprendre la bâtir au béton, (Traces à écouter dans le podcast la Toupie tourne https://lundi.am/La-toupie-tourne) la dynamique des bâtisseureus·es des terres s’organise lentement mais sûrement. Ci dessous retrouver l’appel des batisseureuses des terres ainsi que le récit d’un chantier de dalle en terre pour chauve souris !

Prochaines retrouvailles des batdtr, lors des Digitales fin août à Montreuil. 
contact : batdtr@riseup.net


De la pelle aux soulèvements du bâtiment

Alors que partout s’annonce le désastre, rien ne semble pouvoir freiner la course en avant du BTP. Un système productiviste prisonnier des logiques libérales des majors de la construction et de l’aménagement ; verrouillé par un appareil réglementaire et assurantiel complice, ivre de la puissance d’un monde mécaniste et extractiviste. Il abîme nos corps, saccage nos milieux, nous arrache à nos savoirs-faire. Un monde de béton et de pétrole, peuplé de travailleur.euses sous-traité.es et maltraité.es. Et c’est ce monde dont nous faisons partie, isolé.es et fragmenté.es. Nous, bâtisseur.euses, héritons de pratiques délétères qui font loi et nous poussent à la mise en oeuvre précipitée de produits industriels normés et toxiques. Nous acceptons des cadences de travail dangereuses et mortifères. Nous oublions les pratiques et le temps nécessaire au bâtir de mondes pérennes et joyeux, le soin que nous devons à nos ouvrages, à nos milieux, comme à nos compagnon.es.

Refusons cet état de fait. Refusons le tout béton, refusons d’aménager le désastre,
refusons d’être les cachets verdissants de Bouygues, Lafarge-Holcim, Vinci, Nexity,
Eiffage et tous les autres. L’heure est à la déconstruction collective pour se reconstruire ensemble. Se ressaisir du bâtir dans ses dimensions politiques, sociales et écologiques. Nous avons les clés pour démanteler ce monde dont nous pensons être prisonnier.es. Ce n’est qu’en structurant de nouvelles solidarités et en créant des ponts entre ceux. lles qui fabriquent et ceux.lles qui habitent, entre les vies urbaines et rurales, entre celleux qui sont dans des bureaux et ceux. lles qui luttent, entre celleux qui montent des charpentes et celleux qui construisent des cabanes, que nous arracheront la construction aux forces de destruction qui la gouvernent.

Nous sommes les bâtisseur.euses des terres, un réseau de personnes venant
de différents horizons : ouvrière.es, et artisan.es, habitant.es, militant.es, architectes et ingénieur.es, enseignant·es, chercheur·euses, bricoleur.euses, syndicalistes, éco-constructrices et déserteur·euses. Nous mobilisons nos compétences et savoirs-faire au service des luttes existantes, qu’elles soient pour de meilleures conditions d’habiter, de travailler ou pour lutter contre les démolitions ou la bétonisation. Nous appelons les professionnel.les du bâtiment et les habitant.es, à se mettre en mouvement et joindre leurs forces. Inventons ensemble d’autres manières de construire, résistons aux forces délétères qui nous déracinent et nous isolent, défondons nos camarades, nos savoirs-faire et nos milieux.

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DALLE EN TERRE POUR CHIROPTERES
Batisseureuses des terres, récit d’un chantier en lutte, Melle, 2024


Autrefois les hommes brûlaient mes flancs pour en tirer de l’argent et battre monnaie. Puis le bois vint à manquer. Désormais les arbres ont repoussé. Quelques
coups de bêches creusent une mare, tendre fantôme des méandres de l’Argentière.

Ils m’ont réveillée pendant ma sieste avec leurs bottes et leurs outils, alors j’ai fui loin des iris à la recherche des écrevisses.

Un fleuve m’a déposé ici. Des bêches me fendent, des mains me ramassent et me pétrissent. On me mélange à de la paille, on me bat, on me foule du pied. Tous ces orteils me font des chatouilles, et lorsqu’enfin s’arrête ce massage je reste étendu de
ton mon long dans un lit de copeaux.

Je me transforme de nouveau au rythme du travail des terres alentour.Mes pierres
calcaires sont grignotées par le lierre, elles abritent les cités secrètes des fourmis. Mais j’ai aussi logé des ânes, des vaches, des poules et même quelques éco-terroristes. J’ai enfin ouvert mes volets après un trop long sommeil, et je bâille en faisant craquer mes vieilles poutres sous le pas des bâtisseureuses qui s’affairent.

Lorsque l’on m’allume, les joues rougissent et les papilles salivent. D’abord un immense feu de fagots, puis le spectacle des pâtons pétris qui gonflent sous une croûte délicieuse. Ou bien un petit feu de bois, puis les pizzas et les rires et le ronronnement de la tireuse.

Nous sommes parfois venus de loin pour nous réunir et résister ensemble. Nous avons rit, mangé et débattu. Nous avons lié nos forces dans l’effort, barbouillés de terre et de poussière. Nous n’avons pas besoin de la mer pour former de beaux équipages.

Demain je trouverais refuge contre le froid de l’hiver dans un recoin sombre et chaleureux. Rien ne vaut une vieille charpente pour une partie de jambes en l’air.

Je suis un chantier vivant et solidaire.