Reprises de savoirs

 — MARCHE POUR DESFORÊTS VIVANTES DEMEYMAC À MILLEVACHES

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MARCHE POUR DESFORÊTS VIVANTES DEMEYMAC À MILLEVACHES

2021
Propos recueillis auprès d’un.e organisateurice

En octobre 2021, on organise une marche entre Meymac et Millevaches qui avait pour titre “ Stop aux coupes rases. Pour des forêts vivantes ”. C’était avec le groupe forêt du Syndicat de la Montagne Limousine, et aussi le groupe d’Appel pour des forêts vivantes, dont SOS forêt France et tout ce petit réseau qui s’organise plutôt à l’échelle nationale et avec lequel nous,depuis notre territoire, on est aussi en lien.

Le contexte qui a précédé cette marche, c’est déjà la formation du groupe forêt qui remonte à mars 2021, donc c’était six mois auparavant que ce groupe se constituait. Ça faisait déjà plusieurs années qu’il y avait des gens qui étaient impliqués sur les questions de lutte forestière. Il y a eu la lutte contre le projet d’usine à pellets CIBV à Bugeat-Viam en 2017, des productions écrites sur le rapport à la forêt, l’industrialisation sur le territoire, etc.

Voilà, il y avait déjà des gens sur le territoire qui étaient intéressés par les questions forestières et qui faisaient soit de la lutte active, soit qui produisaient du contenu. Mais il n’y avait pas vraiment d’espace officiel et un peu centralisateur dans lequel il y avait une organisation quotidienne et active. Donc la création de ce groupe a permis ça. Ce groupe existe et est toujours actif aujourd’hui. Il avait aussi organisé, pas longtemps après sa création, en avril 2021 je pense, une journée contre la réintoxication du monde. C’était des journées d’action décentralisées un peu partout en France où le but était d’appeler à se mobiliser contre des projets inutiles sur nos territoires.
Et là, on s’était mobilisés sur une coupe rase de feuillus qui avait été faite récemment. Il y avait eu un rassemblement sur la coupe, une visite de la coupe, des explications sur place avec le maire de la commune, etc. Et un peu une dénonciation de ces pratiques là, avec prise de contact avec la propriétaire, les exploitants, et cetera, pour faire un peu de bruit.

La marche vient quelques mois après cette mobilisation qui avait un peu fait parler dans le coin. Elle vient avec la volonté de permettre un espace qui peut être ouvert à plus de gens. La marche se passe sur une journée entière. Elle appelle un peu à une sorte d’apaisement. C’est pas une manif, c’est pas une action, c’est quelque chose qui est quand même plutôt accessible. Et donc dans notre montée en puissance, disons, c’était stratégique pour nous de faire une marche.
Symboliquement, le parcours n’était pas du tout anodin puisqu’on est parti du lycée forestier de Meymac, en contrebas. Et on est arrivés devant les locaux du Parc Naturel Régional à Millevaches. Donc ces deux établissements étaient évidemment interpellés et mis face à leur responsabilité quant au sujet des coupes rases.

C’est une marche qui a été longue, 16 km. On ne s’est pas dit que ça allait être un frein pour les gens, parce qu’on a eu de la chance, on a eu du beau temps. Et surtout, il y avait des pauses régulièrement prévues, une à midi au mont Bessou, et une dans l’après-midi où on a goûté et fait des prises de parole. On a indiqué aux gens dans la communication que c’était possible de participer juste à une portion de la marche en partant ou en s’arrêtant au moment de ces pauses-là.
C’était quelque chose qui se voulait plutôt familial en fait. C’était le dimanche en famille, venez marcher ! En plus dans des endroits plutôt sympas, le mont Bessou et les abords de Millevaches… On a pris les sentes forestières, on était très peu sur la route. On est parti de Meymac où on avait un tout petit peu de centre-ville, mais sinon on était principalement dans des chemins non-carrossables.

Puis on avait aussi invité pas mal de gens à prendre la parole, des gens qui ont un petit nom. Il y avait notamment des propriétaires forestiers, des gestionnaires forestiers, des gens de SOS forêt France… Il y a eu des lectures de textes, le pique-nique au mont Bessou. Et à la fin, de manière un peu symbolique, on a lu un texte devant les locaux du PNR qui avait été rédigé par le président du parc naturel du Morvan, qui est assez engagé depuis plusieurs années contre les coupes rases. Ca a été assez intéressant pour interpeller le président de notre parc quant au sujet de la soirée.

Voilà en gros ce dont je me souviens en termes de stratégie locale. Ce que je peux dire de plus, c’est qu’à ce moment là on avait ciblé la dénonciation des coupes rases. C’est quelque chose qui a évolué depuis parce qu’aujourd’hui, par exemple avec le groupe forêt, on cible plutôt les coupes rases de feuillus, parce qu’on s’est rendu compte que c’était bien plus facile et aussi pertinent, et que ça permettait d’avoir l’assentiment d’une partie de la filière et de la population locale. Parce qu’en effet, les coupes rases de feuillus, ça choque bien plus que les coupes rases de plantations de résineux qui sont dédiées à ça.
À l’époque, on n’avait pas cette réflexion stratégique-là et donc on avait mis “ Stop aux coupes rases ” tout court, point final. Ce qui s’est traduit, en partie auprès de certains acteurs de la filière en “ C’est les écolos qui refusent encore qu’on coupe des arbres ! ”. Donc c’est ça qui nous a poussé à faire évoluer le mot d’ordre par la suite.
Ce que je peux vous dire aussi, c’est que sur le trajet de la marche, il y a eu des tags par des forestiers. Je crois qu’il y en avait un qui disait “ Laissez-nous travailler ! ”, des choses comme ça… Puis on a été interpellés par certains forestiers, je sais plus si on les avait vu avant ou pendant, qui nous disaient “ Vous allez pas casser de machines, hein ? ”. Parce que sur le trajet de la marche, il y avait certains chantiers où étaient présentes des machines forestières.

Et aussi petit détail marrant : on a déclaré la marche, donc il y avait la présence de la gendarmerie, assez discrète quand même. On a dû traverser des départementales où les gens roulent comme des bolides à certains moments, du coup ils étaient là pour bloquer la route. Et les échos qu’on a eu après étaient “ Ah c’est très bien, c’est très bien organisé, c’est très carré. C’est bien ce que vous faites. ”

Ce qu’a pu produire cette marche, d’abord c’est qu’il y avait 600-700 personnes qui ont marché 16 bornes pour parler de ça, ce qui a fait un petit effet de masse quand même. C’est pas tous les jours qu’il y a un événement qui rassemble autant de monde dans le coin. C’était déjà une victoire pour nous. Ça a permis que ce ne soit pas que des gens locaux qui viennent. Sur les précédents événements qu’on pouvait organiser, c’était surtout des gens du Plateau, voir du cœur du plateau. Et là, ça a permis à des gens qui sont un peu plus loin, en basse Corrèze, à Limoges ou à Clermont-Ferrand de venir pour la journée et de nous rencontrer, capter un peu la dynamique du coin.

Ça a permis aussi de reconfirmer ou revenir sur des sujets qui peuvent être un peu évident en termes de dynamique forestière et d’envie pour le territoire. Réécouter un peu les discours de certains professionnels qui ont une vision plus alternative, c’est quand même toujours pertinent, surtout quand il y a une masse en face qui est à l’écoute. Je pense que ça a fait bouger le parc.

La petite histoire, c’est que le président du parc avait interdit à ses salariés de participer à la marche. Je sais plus s’il y a effectivement des salariés qui sont venus incognito ou pas, mais ça ne m’étonnerait pas.
Par la suite, le président a été interpellé parce qu’il y a eu un un reportage sur la marche. La personne qui a fait le reportage a fait écouter le discours du président du parc du Morvan au président du PNR Millevaches et il a dit “ C’est très bien ce qui est dit là, qui dit ça ? ”, “ Ah bah c’est le président du parc du Morvan. ”, “ Ah d’accord, OK. ” Il a un peu été mis face à sa propre incapacité politique.

Ce sont des petites victoires, des petites avancées sur le front à chaque fois, qui font qu’ aujourd’hui, quand on tient ces questions-là dans la durée, on est plus écoutés. Maintenant, le groupe forêt a une certaine légitimité auprès d’une partie de la filière parce qu’on sait se montrer à l’écoute, on apporte des arguments pertinents. Et par ailleurs, on transmet une impression et une colère d’une partie du territoire. Donc ils ne peuvent pas trop dire qu’ils s’en foutent totalement de ce qu’on dit.

Il y a un autre truc que je voulais vous dire aussi, c’est que cette marche, elle a beaucoup été mise en parallèle de la marche des Bordes qui a eu lieu dans les années 70 à La Villedieu. C’est une marche historique qui a pas mal fait parler d’elle. Et en termes d’effectifs, c’est la seule marche dans le coin qui avait rassemblé plus de personnes que la marche de Meymac-Millevaches. Je crois que c’était 700 personnes dans les années 70 à La Villedieu, alors qu’ à l’époque il y avait encore moins de gens installés récemment, avec des idées politiques plus de gauche. J’ai très peu marché pendant cet événement en 2021 parce que j’étais sur l’organisation et j’étais dans un binôme qui avait pour mission de fermer la route avant ou après nos passages. On avait aussi organisé un covoit pour le retour à la case départ et il y avait même un bus !!

Donc j’ai pas vécu la marche comme les autres mais l’impression que le fait de marcher, en partant à 10h-10h30 et en arrivant à 16h30 avec des grosses pauses au milieu, ça fait que tu es dans l’action physique, mais pas intense. Donc tu peux parler avec les gens autour de toi. Tu as quand même un cortège qui s’étire, avec des gens de tous âges, tu peux choisir avec qui tu veux passer l’heure qui vient à marcher. J’ai l’impression que ça se prête à la rencontre et à la discussion sur le thème de la marche.