Reprises de savoirs

 — LES ATELIERS DUDÉMANTÈLEMENT

hydrmondes

LES ATELIERS DUDÉMANTÈLEMENT

2022
Propos recueillis auprès d’A.

e ne fais pas partie du collectif Hydromondes, je ne suis donc pas la mieux placée pour en parler. Mais je les ai côtoyées à diverses occasions et je peux témoigner d’une semaine d’atelier que j’ai passé à leurs côtés à Lyon : « Les ateliers du démantèlement ».

Hydromondes est un collectif militant qui rassemble des gens d’horizons assez divers. Il y a des personnes qui viennent de l’ethnographie, de l’architecture, du paysagisme, de la philosophie, de l’urbanisme, j’en oublie sûrement… C’est un collectif qui essaie de redessiner ce que pourrait être nos territoires dans une perspective « bio-regionaliste », c’est à dire si on structurait nos activités en fonction des caractéristiques géographiques et biologiques des territoires. C’est un travail d’imaginaire qui débute généralement par des enquêtes populaires. Le collectif se rend quelque part, arpentent les lieux, rencontrent des habitant·es et acteurs d’un territoire. Iels se concentrant souvent sur des « bassins-versants » : la région que dessine un fleuve et tous ses affluents et qui leur paraît une échelle pertinente pour se confronter aux enjeux d’un territoire. Dans leurs marches et arpentages, iels enquêtent pour mieux comprendre l’histoire passé et présente de ces lieux, tant sur un plan écologique que sur un plan social, et souvent en ayant comme prisme d’entrée la question de l’eau. Par exemple, en cherchant à comprendre comment les cours d’eau ont évolué dans le temps ; comment sont répartis les usages de l’eau sur un territoire ; quelles sont les infrastructures existantes ; quelles sont, ou ont étés, les coutumes locales… À partir de tout ce qu’iels récoltent, iels essaient de dessiner des perspectives futures et de faire émerger de nouveaux imaginaires.

Hydromondes a réalisé plusieurs arpentages/enquêtes, notamment à Bou par exemple, ou à Uzès (de ce que je connais du moins) et plusieurs le long du Rhône. Plusieurs personnes du collectif travaillent en ce moment sur le Rhône et le potentiel démantèlement de ses grandes infrastructures.
C’est dans le cadre de cette enquête qu’iels ont organisée ce qu’iels appelaient « Les Ateliers du démantèlement » auquel j’ai participé il y a un an et demi à Lyon. Il y a eu une deuxième session à Marseille cette année, à laquelle je n’ai pas pu participer. L’idée de ces ateliers, c’était de se dire qu’imaginer une société écologique et vraiment démocratique ça nous demande d’imaginer comment démanteler certaines infrastructures nocives et/ou polluantes ; et du coup d’inviter des personnes extérieures à leur collectif pour les accompagner dans leurs réflexions là dessus, notamment sur le Rhône, et dans le cadre de cette session, à Lyon.

La première question que vous m’avez posée concernant les ateliers du démantèlement, c’était : « Pourquoi se mettre en marche ? ». Ce qui est marrant, c’est que moi, j’ai grandi à Lyon en fait… Et que souvent, on connaît assez peu les lieux dans lesquels on vit. Je pense que la plupart des lieux qu’on a arpentés avec Hydromondes pendant ces quelques jours, ce sont des lieux dont j’entendais parler, où que je croisais sur mon chemin, mais sur lesquels je ne m’étais jamais vraiment arrêté. Je pense notamment à « la vallée de la chimie » que j’ai traversé plein de fois en voiture à la sortie de Lyon et qu’on ratait pas à cause de l’odeur qui s’échappe des industries et qui arrive jusque dans l’habitacle. Mais je ne me suis jamais vraiment penché sur l’histoire de ce lieu ou sur ce qu’il s’y passait. Je suis jamais allé me balader par là-bas, parce que c’est quand même assez moche et qu’« aller marcher » pour moi, c’était dans la nature et dans de beaux endroits. Faire une randonnée par exemple… à la montagne, dans la forêt…. C’était une fuite de la ville et clairement aussi un loisir lié à ma classe sociale privilégiée.

C’est intéressant de se demander : où est-ce qu’on se met en marche, et pourquoi ?
Pendant les Ateliers du Démantèlement, une des matinées qui m’a le plus marquée, c’était d’ aller se promener dans cette fameuse « vallée de la chimie » à Lyon, (qui d’ailleurs s’appelait avant « le couloir de la chimie » et qui a été renommé sûrement parce que ça sonnait trop « couloir de la mort »). On a passé toute une matinée posée sur les hauteurs de Saint-Fons, vue sur le site industriel. On a lu collectivement un texte de la revue Z (le numéro 8 sur Vénissieux) intitulé « Travail, chimie et subversion ». C’est un article qui raconte l’histoire de cette zone industrielle chimique : la délocalisation des usines polluantes de Lyon vers l’extérieur de la ville, et qui retrace l’histoire de travailleurs en lutte. Ensuite, on est allé se promener sur le site, voir ce qui s’y passe, ce qui s’y développe. On longe une « giga-usine » de piles à hydrogène récemment inauguré ; et les pipelines d’un futur projet de production de « gaz vert » à partir de bio-déchet qui devrait ouvrir en 2025. On voit émerger sous nos yeux les projets de « transition énergétique » qui nous questionne sur les modèles de transitions.
Par un travail de fiction, le collectif hydromonde tente ensuite d’imaginer ce que pourrait devenir ce site et ce que cela voudrait dire de le « démanteler ».

Pour vous résumer en quelques mots ce qu’on a fait d’autres dans ces ateliers du démantèlement peut-être… On est allé visiter des aqueducs encore présent dans le paysage lyonnais pour comprendre comment, à l’Antiquité, l’eau avait été amenée jusqu’à Fourvière, sur les hauteurs de Lyon (qui était Lugdunum à l’époque). On a passé du temps à la bibliothèque municipale de Lyon tout de même.) pour faire des recherches un peu sur la ville et ses aménagements au cours de l’histoire. On a passé une journée dans la vallée de la chimie dont je vous ai déjà parlé… Et au retour de cette promenade, on est tombé par hasard sur une exposition à Saint-fons, de Suzanne Husky, une artiste qui a beaucoup travaillé sur les castors, et le rôle des barrages de castors dans le ralentissement du débit des rivières… On a marché jusqu’au lac de Miribel Jonage qui se trouve au nord de Lyon, et qui est à peu près sur le tracé du Rhône. On en a profité pour parler des aménagements du lac et du Rhône et arpenter des textes qu’avaient sélectionnés hydromondes à ce sujet. C’était chouette d’arpenter les paysages et d’arpenter des textes en même temps, plutôt que depuis une chaise dans une salle de classe.

Je pense que dans ma pratique de la marche jusqu’alors, il y avait un peu une forme de fuite vis-à-vis des infrastructures capitalistes, d’un monde qui me déprime à plein d’égards et dont je voulais m’échapper et que c’est intéressant de venir se le réapproprier par la marche et dans le but d’enquêter sur nos territoires de vies, retrouver du pouvoir d’agir, nourrir nos luttes, imaginer d’autres manières de faire société.

Pas longtemps après cet atelier, je suis partie trois jours à vélo avec un pote longer le Rhône de Lyon à la Camargue. C’est tout plat, c’est pas hyper intéressant comme paysage, mais c’était stimulant de déplier tout ce qu’on avait commencé d’évoquer pendant les ateliers du démantèlement, en repérant à chaque étape « là on est en train de passer à côté d’une centrale nucléaire, là il y a une carrière, là y a un barrage hydroélectrique, ici une zone de renaturation », de s’arrêter pique niquer en parlant à des pécheurs de l’évolution de la biodiversité dans les cours d’eau, de tisser des fils entre tous ces trucs… De penser à ce que permettaient ou empêchaient toutes ces infrastructures, à ce qu’elles impliquaient, de réfléchir à ce que serait une société différente, plus juste, et à nos leviers d’actions pour la changer.

Je pensais au fait que dans la thématique marche passée, grande marche, lutte et tout, j’ai l’impression que c’est aussi un très bon moyen de faire de l’éducation populaire ou d’impliquer des personnes qui habitent des territoires dans le fait de mieux comprendre et s’emparer des enjeux sur un lieu donné et de pouvoir grandir notre capacité à agir sur des choses, des décisions, des enjeux de territoire. Que c’est
un bon moyen. Là nous on fait une enquête sur l’eau dans le Vercors, là où je suis, et on s’est dit on descend la rivière, on va rencontrer les pêcheurs, et c’est un bon moyen de d’apprendre plein de choses et de pouvoir ensuite mieux agir sur là où on habite.